lundi 26 avril 2010

Un monde sans profit

Sans la propriété et l'argent, il n'y aurait pas de loyer à payer, d'intérêts ou de profit. Puisque le profit est le motif de la production dans le capitalisme, cela veut-il dire que dans un système post-capitaliste nous mourrions de faim ? Le profit n'est pas le seul motif qui pousse à faire les choses, pas même le meilleur. Le meilleur motif est simplement le besoin. Nous ferions des choses parce que les gens en ont besoin.

Le profit opère d’une manière différente. On produit seulement pour faire de l'argent, de sorte qu'une entreprise capitaliste peut produire des choses dont les gens bien souvent n'ont pas besoin mais qui se sont fait dire par des publicités qu'ils en ont besoin. Ça n’a rien à voir avec le besoin en tant que tel, donc si un milliard de personnes ont besoin d’eau potable mais ne sont pas en mesure de la payer, il n’y a pas de raison de leur en offrir selon ce principe. Ils n'ont qu'à s’en passer.

Avec le profit, il y a aussi la perte, donc il est normal pour une entreprise de sauver de l'argent en produisant bon marché, en faisant de la camelote, ou en faisant des choses si fragiles que les gens doivent en racheter, et de produire des déchets polluants car c’est moins coûteux que de recycler et réutiliser. Avec les mécanismes du marché, les multinationales peuvent dominer la culture planétaire avec une sorte d'uniformité plastique qui fait que chaque ville semble identique et qui nous incite à manger la même nourriture et à porter les mêmes vêtements.

Abolir la propriété privée ne veut pas nécessairement dire abolir la civilisation, les constructions, la nourriture, la culture, les hôpitaux, les cinémas ou notre propre identité personnelle. Cela signifie simplement abolir un vieil accord disant qu'il est correct pour un grand nombre de personnes de s'accommoder de peu de choses de sorte que quelques personnes puissent avoir trop de tout. Nous pourrions garder la plupart des choses que nous jugeons chères à nos yeux. Laisser le capitalisme derrière n'est pas comme revenir en arrière. Ça ne veut pas dire se débarrasser de tout et détruire nos plus précieuses croyances. C'est simplement une question de progrès. C'est rendre le monde meilleur qu'il ne l'est maintenant.

Cela implique certainement une révolution sociale. Les travailleurs et les dépossédés du monde devraient arrêter de se battre entre eux et plutôt s'unir pour vaincre la minorité de la classe possédante. C’est un acte révolutionnaire. Naturellement, les riches n'aimeront pas ça et essaieront d'arrêter le processus. Mais ils ne constituent qu'une personne sur vingt, ne l'oubliez pas. Une révolution n'est pas une mauvaise chose en soi : pensez simplement à la révolution informatique, la révolution de l'information. Une révolution n'a même pas besoin d'être violente, elle doit juste être complète et bien organisée.

Vous vous dites que ça ne fonctionnerait pas. Vous vous dites que c'est impossible, que c'est contre la nature humaine, ou quelque chose de ce genre. Vous êtes presque obligé de penser cela. Nous avons tous été élevés dans le capitalisme et pensons que le capitalisme est naturel, correct et approprié.

Mais plusieurs d'entre nous ne croient pas cela, et peut-être que maintenant vous commencez à voir pourquoi.

lundi 19 avril 2010

Le « tiers-monde »

Le point de départ de toute analyse sérieuse du soi-disant « tiers-monde » doit être la constatation qu’il n’existe au monde aujourd'hui qu'un seul système social : l’économie-monde capitaliste. Ce système est né en Europe au XVIe siècle mais ce n'était que vers la fin du XIXe siècle qu'il a couvert la totalité du globe.

Dire que le capitalisme couvre le globe ne veut pas dire que tous les habitants du globe sont soit des capitalistes soit des travailleurs salariés, mais simplement que la vie de chaque homme sur la terre est dominée par le fonctionnement de l'économie-monde capitaliste (même s'il peut exister quelques tribus oubliées dans la jungle de la Nouvelle-Guinée ou ailleurs). Par exemple, la plupart des paysans du tiers-monde produisent des « cash-crops » à vendre sur le marché mondial.

La mondialisation du capitalisme signifie qu'il n'y a aucune solution « nationale » aux problèmes sociaux. La solution se situe également à l'échelle mondiale : une révolution sociale mondiale qui remplacera l’économie-monde capitaliste par le socialisme mondial.

En d'autres termes, ce ne sont pas seulement des mouvements sociaux dans le tiers-monde qui ne peuvent pas isolément poser le problème de la révolution socialiste. Ceci est vrai également pour des mouvements sociaux dans un pays du monde « avancé ». La révolution socialiste sera mondiale ou ne sera pas.

En plus, puisque le capitalisme a (depuis la fin du XIXe siècle) posé les bases matérielles pour une société mondiale d'abondance, tout le globe, y compris les parties non-industrialisées, peut passer directement et ensemble à la société socialiste. Le socialisme mondial est donc non seulement dans l'intérêt des travailleurs salariés des aires industrialisées du globe mais également dans celui des paysans et ex-paysans du tiers-monde. Comme on disait, « l’émancipation de la classe ouvrière impliquera l'émancipation de l’'humanité entière sans distinction de race ni de sexe ».

II reste vrai cependant, que l'épicentre de la révolution socialiste ne peut qu'être les aires industrialisées du monde parce que c'est ici que se trouvent et les industries capables de fournir l'abondance pour tous et les gens formés et qualifiés pour les faire fonctionner dans l'intérêt de tous. Si la révolution y commençait, le tiers-monde n'aurait qu'à suivre (ce qu'il fera sans doute bien volontiers et sans hésitation) tandis que dans le cas inverse (qui n'est pas à exclure a priori, d’accord) il y aurait de graves problèmes, difficiles sinon impossibles à surmonter.

Puisque la production est déjà aujourd’hui collective et mondiale (tous les salariés et autres producteurs du monde ne forment qu'un seul « travailleur collectif ») on ne peut attribuer la production d'une partie de la plus-value à une seule région du monde, pas plus qu'à un seul pays, une seule usine ou un seul individu. Toute la plus-value du monde est produite collectivement par les travailleurs du monde entier. Sa répartition parmi les capitalistes du monde est autre chose et il se peut que les capitalistes « indigènes » du tiers-monde (« bourgeoisie nationale » si on veut) n'aient pas assez de force, c'est-à-dire, n'aient pas des États assez puissants, pour s'accaparer leur « juste » part de ce butin, mais en quoi cela concerne-t-il les producteurs du monde? C'est une simple querelle entre brigands !

S'il est vrai que, en règle générale, les salariés en Occident reçoivent des salaires plus élevés que les salariés du tiers monde, c'est que ceux-là sont plus formés et plus qualifiés et vendent donc une force de travail d'une qualité supérieure pour laquelle les employeurs doivent, selon les lois du marché, payer plus. Ceci n'a rien à voir avec une prétendue participation à une exploitation du tiers-monde.

lundi 12 avril 2010

Un peu d'histoire: Le SPD d’avant 1914

Dans la polémique de 1910-1912 concernant « la grève de masse » entre, d'un côté, Luxemburg et Pannekoek, et de l'autre, Kautsky, les deux côtés ont partagé la même supposition : que dans l'Allemagne de l'époque il existait réellement un mouvement socialiste de masse embrassant un tiers de la classe travailleuse, avec bon nombre de membres du Reichstag, une presse quotidienne et hebdomadaire, de nombreux employés salariés (y compris tous les trois polémistes). Dans ces conditions le débat portait sur quelle devrait être la tactique d'un mouvement socialiste de cette dimension - et, donc, pas comme nous aujourd'hui, capable d'influer sur le cours des événements - en vue d'augmenter sa force. Kautsky, tout en n'étant pas opposé à des grèves politiques dans certaines circonstances, plaidait pour donner la priorité à l'augmentation du nombre de membres du SPD au Reichstag. Luxemburg et Pannekoek disaient que l'action parlementaire devrait être accompagnée par des actions extra-parlementaires, comme moyen, en particulier, de démocratiser le système électoral en Prusse, c'est-à-dire pour une reforme démocratique.

La question que l’on peut poser est celle-ci : si un mouvement socialiste révolutionnaire embrassant un tiers de la classe travailleuse existait réellement, quelles devraient être ses tactiques ? Est-ce qu'on peut supposer qu'il s'abstiendrait de participer à des élections (quand des sièges seraient là à prendre) ? Ou qu'il s'opposerait à ce que les travailleurs s'organisent dans des organisations permanentes en vue de négocier le prix de leur force de travail avec les employeurs ?

Bien entendu, c'était une grande illusion. Le SPD n'était pas un parti socialiste révolutionnaire ; son soutien parmi les travailleurs n'avait pas été construit sur la base du programme socialiste. Il était effectivement ce que Bernstein voulait qu'il admette d'être : un parti de réforme démocratique et sociale au sein de la société capitaliste.

Ceci devient évident en 1914 lorsque les membres SPD du Reichstag votent pour la guerre. Et c'était cet événement, plutôt qu'un facteur économique tel que la saturation des marchés ou une chute permanente du taux de profit (ou une transition mystérieuse de la domination formelle a la domination réelle du capital), qui a provoqué un ré-appréciation des tactiques d'avant la guerre, y compris celles prônées par Luxemburg et Pannekoek (qui comprenaient l'action électorale et syndicale).

Nous ne savons pas si, oui ou non, Luxemburg aurait abandonné complètement ces tactiques puisqu'on ne lui a pas permis de vivre assez longtemps (mais probablement pas, étant donné que dans son discours lors du congrès qui a établi le Parti communiste d'Allemagne, elle a parlé en faveur de participation aux élections à l'assemblée constituante allemande). Mais Pannekoek l'a fait, tout comme Otto Rühle (qui avait été élu SPD au Reichstag). Eux, ils ont tiré la conclusion que les nouvelles tactiques devraient comprendre une position abstentionniste et antiparlementaire (position qui était regardée auparavant comme exclusivement anarchiste, voire comme une des caractéristiques définissant l'anarchisme). Toutefois, ni l'un ni l'autre ne s’est opposé à la formation d'organisations permanentes ouvrières sur le terrain économique (cette position absurde semble être l'invention des intellectuels français des années 70), mais seulement aux syndicats existants.
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mercredi 7 avril 2010

Pas une économie

A proprement parler, le socialisme n’est pas un nouveau type d’organisation économique ni une nouvelle forme de répartition de la propriété. En effet, la communauté socialiste n’instaurera pas une « propriété » commune puisque l’idée même de la propriété signifie l’accaparement par certains, la possession de certains au dépens des autres. Dans le socialisme, la circulation des biens ne peut s’effectuer selon les modalités que nous avons connues dans le monde où nous vivons (la modalité de l’échange, l’échange de tels biens contre tels autres).

Dans une société dont personne n’est exclu, il ne peut exister d’échange, il ne peut exister d’achat et de vente, donc il ne peut exister d’argent. Il ne peut y avoir qu’une utilisation collective ou personnelle de ce que produit la communauté. Donc un remplacement de ce que nous avons connu, c’est-à-dire la logique de l’échange, par une nouvelle logique qui est la logique du partage en liaison avec la logique du don.

Dans une société socialiste, les hommes s’associeraient pour accomplir telle ou telle action, pour partager les plaisirs ou les émotions et répondre aux besoins généraux de la communauté, sans que le regroupement qu’ils formeraient ainsi prenne la forme d’un État, donc de la domination de certains hommes sur d’autres, ou prenne la forme d’une entreprise qui embauche des salariés et qui monnaie la production. Par conséquent, on ne peut parler, pour une telle société, de lois économiques. Ces lois, étant l’expression des relations humains reposant sur l’inégalité et la domination de certains ; inégalité, domination qui justifient elles-mêmes ces lois en les présentant comme des réalités inévitables ou ayant existé de toute éternité. Au contraire, dans la société socialiste, il existerait un contrôle conscient des êtres humains sur leur propre activité au travers tant des relations existant entre eux que, plus généralement, des relations existant entre eux et le reste de la nature.