lundi 28 décembre 2009

Que veut dire cette grève ?

Une traduction française de l’allocution prononcée par Daniel De Leon en 1898 « Que veut dire cette grève ? » se trouve maintenant sur le Net ici et ici. Il s’agit d’une exposition classique de l’attitude socialiste à l'égard des grèves économiques. Nous signalons que la note biographique concernant De Leon au premier site - qui le décrit comme « archétype du dirigeant socialiste réformiste du début du siècle, à l'image d'un Jaurès ou un Kautsky » - est erronée, voire ridicule. De Leon avait ses fautes mais il n’était pas « réformiste » et on ne peut le comparer à Jaurès, orateur parlementaire possibiliste et réformiste.

lundi 21 décembre 2009

Qu’est-ce que le socialisme ?

Pour nous, socialistes, le socialisme n’a rien à voir, ni avec les pays ni avec les gouvernements qui se prétendent (ou se prétendaient) socialistes. Un régime dans lequel le patron privé a été remplacé par l’État-patron n’est pas du socialisme, mais une forme particulière de capitalisme : le capitalisme d’État. Quant à la gestion supposée plus « humaine » du capitalisme, préconisée par des partis en Europe tels que le PS en France, le PSOE en Espagne ou le SPD en Allemagne, en quoi se différencie-t-elle de celle des gouvernements de droite ? Quels problèmes a-t-elle résolus ? Quelle « humanité » a-t-elle insufflé dans le capitalisme ?

Alors, qu’est-ce que le socialisme, vous direz-vous ? Bien évidemment, nous ne pouvons pas fournir un plan détaillé préétabli. Outre le fait que le socialisme dépend du stade d’avancement et de l’état de la planète dans lesquels le capitalisme nous laissera au moment de son établissement, un plan prêt-à-l’emploi serait contraire au caractère démocratique de la société future. En outre, les détails particuliers et les questions d’organisation seront élaborés, les problèmes rencontrés seront résolus et les mesures adéquates seront prises, au fur et à mesure des situations rencontrées.

Cependant, par comparaison avec le système actuel, quelques lignes générales peuvent être tracées :

1. Le capitalisme est un système de société mondial, basé sur l’appropriation, par une petite minorité de la population – la classe capitaliste –, des moyens de production des richesses de la société. Cette appropriation entraînant la gestion de ces moyens au seul profit de cette minorité possédante, il s’ensuit que, pour permettre leur administration démocratique (par la société toute entière) et l’organisation de la production dans l’intérêt général, le transfert de la propriété de ces moyens à la société est un impératif absolu. L’organisation et le fonctionnement du capitalisme et du socialisme étant mutuellement exclusifs et incompatibles, ces deux systèmes ne pourront cohabiter. Par conséquent, ce transfert de propriété devra s’effectuer à l’échelle mondiale. En outre, de nombreux problèmes, inhérents au système capitaliste (crises économiques, pauvreté, chômage, famine, problèmes écologiques, etc.), ayant un caractère global, leur seule solution – le socialisme – ne peut être que globale.

2. Le capitalisme est une société divisée en classes sociales opposées : d’un côté, ceux qui, possédant les moyens de production – la classe capitaliste –, s’approprient les richesses produites et n’ont pas besoin de travailler pour vivre ; de l’autre, ceux qui en sont exclus – la classe salariée – et doivent travailler pour les premiers afin de subvenir à leurs besoins. Le socialisme, lui, sera une société sans classes puisque les relations de production actuelles, qui découlent de la propriété privée des moyens d’existence de la société, auront disparu.

3. Dans le capitalisme, les biens et les services sont produits dans le seul but de générer un profit pour la minorité possédante. Dans le socialisme, ils seront produits en réponse aux besoins exprimés par la population. La disparition du système du profit signifiera, en même temps, la fin du chômage, de la pauvreté, de la pénurie de logements, de la faim dans le monde, des guerres, etc. qui en sont des conséquences directes.

4. Dans le capitalisme, l’accès aux biens et aux services nécessaires à notre vie quotidienne (nourriture, logement, transports, culture, loisirs, etc.) est limité par la quantité d’argent dont nous disposons. Dans le socialisme, l’accès aux richesses produites sera libre et gratuit puisque la suppression de la propriété privée entraînera l’élimination des opérations d’achat-vente, rendant l’argent inutile. En effet, les richesses produites étant devenues la propriété commune de l’humanité, comment et à qui allons-nous acheter des biens ou des services que nous possédons déjà ? De cette façon, l’accumulation de richesses matérielles par un individu, au détriment des autres, deviendra impossible.

5. Dans le capitalisme, chaque entreprise est gérée de manière autoritaire et égoïste, au seul profit de ses actionnaires/ propriétaires. Dans le socialisme, les moyens de production et les richesses naturelles étant la propriété collective de la société, les membres de celle-ci mettront en place une administration démocratique, tant sur les points de production qu’à travers les structures et les réseaux établis pour assurer l’articulation et la coordination entre les diverses unités de production et les centres de distribution. Débarrassée du carcan de la propriété privée, la société remplacera la démocratie politique limitée, que nous connaissons actuellement, par la démocratie sociale.

L’idée d’une société basée sur la propriété commune des moyens d’existence a une longue histoire. De fait, les premières sociétés humaines ignoraient la propriété privée ou la hiérarchisation de la société en groupes sociaux distincts. Si l’apparition de l’agriculture et de l’élevage, au néolithique, va entraîner l’appropriation des terres, rendue nécessaire par le caractère sédentaire de ces activités, le retour à la propriété sociale, condition nécessaire à la gestion des moyens de production par la société toute entière, dans l’intérêt de tous ses membres, est une revendication constante dans l’Histoire de l’humanité, même si elle n’apparaît jamais dans nos manuels d’histoire officielle. Et grâce au développement de la technologie moderne et des capacités productives, il est désormais possible d’établir une société organisée sur ces bases, pour partager non pas la pénurie mais l’abondance.

dimanche 13 décembre 2009

Le socialisme et le travail

Dans le capitalisme, une immense quantité de travail humain et de ressources naturelles et matérielles est absorbée par des activités inutiles (ou, du moins, uniquement utiles dans le cadre de la société capitaliste) et nuisibles, telles que la banque, les assurances, la comptabilité, la publicité, le commerce, les activités liées à l’existence de l’argent (extraction et transformation des matières premières, fabrication du papier, impression des moyens de paiement, des tickets de toutes sortes, des devis et des factures, surveillance, comptabilité, transport, fabrication et entretien des machines et outils correspondants, etc.), l’industrie de l’armement, la construction des infrastructures militaires, judiciaires, carcérales, etc.

La suppression des activités industrielles et commerciales et des administrations inutiles, dangereuses ou gaspilleuses d’énergie permettra de réduire de manière considérable le nombre d’heures de travail nécessaires au bon fonctionnement de la société et d’alléger la charge du travail utile. Dans ces conditions, la pénibilité de certaines tâches s’en trouvera très réduite… sans oublier que, assurés de travailler, non plus pour une classe parasite, mais dans leur propre intérêt, individuel et collectif, les membres de la société socialiste ne considéreront plus le travail de la même manière car celui-ci perdra beaucoup de son caractère ingrat et rebutant.

Ainsi, les gens n’aiment pas le « travail » aujourd’hui parce que c’est essentiellement de l’« emploi », c’est-à-dire du travail effectué pour et dans l’intérêt de quelqu’un d’autre, l’employeur. Ce n’est donc pas un travail destiné à être intéressant ni gratifiant. Au contraire, l’employeur n’en a rien à faire s’il est répétitif, ennuyeux ou même, parfois, dangereux ; ce qui l’intéresse, c’est que le travail de son employé lui rapporte de l’argent.

De leur côté, ces mêmes travailleurs, qui sont rebutés à l’idée d’aller travailler pour un patron, sont prêts à passer du temps, à « travailler » dur parfois, pendant leur temps de loisirs, pour faire du jardinage ou le ménage, réparer leur voiture, aménager leur logement, bricoler, aider leurs enfants à faire leurs devoirs ou s’investir dans une association, c’est-à-dire à faire quelque chose qu’ils estiment utile, nécessaire, intéressant, gratifiant, épanouissant ou bénéfique.

Il en sera de même dans la société socialiste, où la relation exploiteur-exploité et le profit ayant disparu, les membres de la société auront la possibilité de travailler dans l’activité qui les intéresse le plus ou qui correspond le mieux à leurs capacités. Ce n’est donc pas le travail en tant que tel qui représente un problème, mais les conditions dans lesquelles s’effectue ce travail. Le socialisme y remédiera.

Bien sûr, il serait stupide d’affirmer que le socialisme résoudra du jour au lendemain tous les problèmes de l’humanité. Mais le transfert à la communauté des ressources productives et la participation démocratique des membres de la société garantiront l’organisation et l’utilisation de ces ressources dans l’intérêt général et permettront de chercher des solutions aux problèmes comme celui de la pénibilité de certaines tâches.

lundi 7 décembre 2009

Y a-t-il une alternative ?

Le capitalisme est construit sur la propriété privée de classe. Si vous abolissez la propriété vous devez abolir le capitalisme et tout ce qui en fait partie, le système entier du marché, l'argent, les banques, les assurances et le crédit ainsi que les dettes et le loyer, les hypothèques, les prêts et les salaires. Cela peut sembler signifier abolir la civilisation telle que nous la connaissons. Pas nécessairement. Puisque la plupart de ces choses ne vous donnent rien sauf de la fatigue et du stress, cela peut aussi signifier abolir la plupart de vos problèmes d'un coup.

Sans propriété il n'y aurait aucune hiérarchie, pas de chefs, pas de patrons, pas de dirigeants, pas d'élite gouvernementale, pas de ‘vous-faites-ce-que-je-vous-dis’, pas de citoyens de seconde classe.

Sans propriété, personne n'aurait de pouvoir sur personne. Cela pourrait sembler signifier la fin de la civilisation comme nous la connaissons.

Selon une autre perspective, cela pourrait signifier le début de la civilisation.

Sans propriété privée de classe, il n'y aurait pas d'argent pour les salaires, alors les gens devraient travailler gratuitement. Si vous n'étiez pas payé, vous pourriez choisir votre travail. Alors pourquoi les gens ne décideraient-ils pas de ne rien faire ? Et bien, comment se fait-il que vous ayez des passe-temps ? Personne ne vous paie. Les gens aiment faire des choses, surtout des choses utiles. Et souvenez-vous, sans patrons, le travail serait une tout autre expérience. Naturellement, vous ne voudriez pas pratiquer votre passe-temps soixante heures par semaine, mais quand vous considérez le nombre de métiers reliés à l’argent qui seraient supprimés avec l’abolition du capitalisme, il y aurait une impressionnante quantité de personnes qui n’auraient plus rien à faire. Si ceux-ci aident tous à faire le travail utile, peut-être qu'une société post-capitaliste pourrait ramener le travail nécessaire à une fraction de ce qu'il est aujourd'hui, peut-être 10 heures par semaine plutôt que 30, 40 ou même 50 heures.

Aussi, sans la propriété privée, il n'y aurait pas vraiment de raison de se battre. Les causes des guerres sont toujours les mêmes : la propriété, le commerce, l’acquisition de routes commerciales ou la protection de celles-ci. Ils peuvent prétendre qu'elles se font pour Dieu, la liberté ou quelque chose de ce genre, mais ce sont le fric qui financent les guerres et ce sont le fric qui en sont la cause. Et ce qui est profondément ironique, c'est que les guerres sont toujours combattues par les gens pauvres au nom des gens riches. Sans la propriété, les seuls combats que vous seriez susceptible de voir seraient lors des spectacles théâtraux à caractère historique. Oh, il y aurait des conflits, certainement. Mais de vrais combats ? Des guerres ? Nous ne voyons pas pourquoi il y en aurait.

mardi 1 décembre 2009

Le débat sur l'identité nationale [2]

La semaine dernière nous avons reproduit un chapitre du livre de Gustave Hervé Leur Patrie, en réponse au ministre de l’Identité nationale qui veut
Donner à tous les enfants de France l’occasion de chanter au moins une fois par an la Marseillaise.
Faire participer l’ensemble des forces vives de la Nation à la fête nationale du 14 juillet.
Accroître la place des symboles de la République (drapeau, Marianne) dans l’ensemble des édifices publics.
Quand Hervé lança une campagne anti-patriotique en France au début des années 1900 et recommanda à la SFIO (dont il était membre) et au congrès de 1907 de l’Internationale social-démocrate d’adopter une position anti-patriotique il fut dénoncé comme anarchiste et on lui a dit que les socialistes étaient patriotes. Pourtant il avait raison. C’est pourquoi nous reproduisons un autre chapitre de son livre et qui peut servir même aujourd’hui comme réplique à Eric Besson et aux autres qui veulent imposer le patriotisme, qui ne sert que les intérêts de la classe capitaliste, à la classe travailleuse.

Les mensonges patriotiques : les définitions classiques de la patrie

Demandez à un patriote français, anglais, allemand, italien, ce que c'est que la patrie ; écoutez-le débiter comme un perroquet les définitions de la patrie qu'il a apprises dans ses manuels scolaires : autant d'affirmations, autant de phrases creuses, vides de sens, ou mensongères.

— Qu'est-ce que la patrie, bon patriote ?
— C'est la terre où je suis né.
- Mais non perroquet ! Si tu es né à Landerneau, si tu y as grandi, si tu y as goûté tes premières joies, c‘est Landerneau ta patrie, d'après ta définition. Mais ce patriotisme de clocher, que tout le monde possède a des degrés divers, ce n'est pas ce qu'on appelle le patriotisme : l'amour du village natal s'explique nullement l'amour de la France entière, avec les villes ou les villages ou tu n'es pas né, ou tu n'as jamais mis le pied.auxquels ne t'attache par conséquent aucun souvenir d'enfance. Si Landerneau était annexé demain par les Allemands, Landerneau n'en serait pas moins ton pays natal, le pays auquel tous tes souvenirs de jeunesse resteraient attachés.

- La patrie, c'est la terre des ancêtres.
- Cela sonne bien ! terre des ancêtres l En se battant les flancs, avec de grands efforts d'imagination, on croit voir les générations d'aïeux couvrant de leur sueur et de leur sang le sol de la patrie. Mais ce qu'il en faut de l'imagination, de la sensibilité et de la vertu pour aimer des ancêtres dont la silhouette se perd dans la nuit des temps.
Voyons ! bon patriote ! Tu aimes ton père ? Moi aussi, j'aime le mien ; ton grand-père ? moi aussi ! ton arrière grand-père ? moi aussi ! si j'en ai entendu dire du bien, et on dit toujours du bien des morts, même quand de leur vivant ils ont été des êtres vils et méprisables, mais au fond, tes ancêtres, ceux que tu n'as pas connus, tu t’en moques, hein ? comme de ta première culotte ! Et moi aussi.
D'ailleurs, s'ils ont arrosé de leur sueur et de leur sang la terre de Landerneau, aime ce coin de terre, bon patriote, mais ils n'ont pas arrosé la France entière ; ne te crois donc pas obligé d'aimer les villes et les villages qu'ils n'ont jamais arrosés ni de leur sueur ni de leur sang.
Ah ! ils ont arrosé la terre natale de leur sueur et de leur sang, les ancêtres ; oui, ils en ont versé beaucoup pour leurs maîtres, les rois, les nobles et les prêtres ; ils auraient mieux fait de verser moins de sang pour agrandir les domaines de leurs maîtres ou leur faire des rentes, et d'en verser un peu plus pour améliorer leur propre condition et la nôtre, par suite, en tombant à bras raccourcis sur leurs rois, leurs seigneurs et leurs curés.
Il y en a qui se sont révoltés, c'est vrai, mais est-ce que nos ancêtres étaient parmi les Jacques, les Croquants et les Va-nu-pieds qui, à maintes reprises, se soulevèrent ou parmi les soldats du roi qui étouffèrent les insurrections dans le sang ? Étaient-ils parmi les révolutionnaires qui de 1789 a 1793 brulèrent les chartes et les châteaux ou étaient-ils parmi les chouans d'Anjou, de Bretagne, de Vendée, qui luttaient centre eux, ou parmi les royalistes du Midi qui voulurent livrer Lyon et qui livrèrent Toulon aux ennemis de la Révolution.

- La patrie, c'est le pays des gens de notre race.
- Mais, dans toutes les patries européennes, il y a plusieurs races différentes ; en Allemagne, il y a des Slaves et des Germains ; même en notre pays dont la population est une des plus homogènes, il y a plusieurs races : le Provençal, qui a beaucoup de sang latin dans les veines, est beaucoup plus près de l'ltalien, par la race, que du Français du Nord,le Français de l'Est a beaucoup de sang allemand dans les veines ; il ne manque pas de Français du Nord qui sont de race flamande ; les Bretons sont un groupe différent, beaucoup plus proches parents du Gallois, de l'Écossais ou de l'Irlandais que du Français du Nord, de l'Est ou du Midi. Quel Français d'ailleurs, quel Allemand, de nos jours, après les séjours que les armées françaises ont faits en Allemagne et les armées allemandes en France, est sur de n'être pas le fils d'un des soldats ennemis venus en vainqueurs au pays, de leurs ancêtres.
D'ailleurs si les patries doivent comprendre les gens d'une même race, comme il est établi que les Italiens, les Français, les Allemands, les Anglais actuels ont tous des ancêtres communs, venus d'Asie, ce seraient tous les Européens qui seraient nos compatriotes ! et pas seulement les Européens, pourquoi pas tous les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau, puisqu'ils appartiennent à la race humaine comme nous !

— La patrie c'est la terre où l'on parle notre langue !
— Il y a trente ans, la plupart des Alsaciens ne parlaient et ne comprenaient que l'allemand, il y avait plus d'un million de Bretons qui n'entendaient pas le français ; il y avait des milliers de paysans du nord qui ne savaient que le flamand et pourtant tous ces gens étaient Français, aimaient la France.
En Suisse, une partie de la population parle l'allemand, une autre l'italien, une autre le français ; et pourtant il y a une patrie suisse. En revanche, les Cubains qui parlent espagnol, viennent de chasser les Espagnols et ne veulent pas appartenir à la patrie Espagnole ; les Américains du nord parlent anglais et pourtant ils sont loin de considérer l'Angleterre comme leur patrie. Ce n'est donc pas la communauté de langue qui constitue essentiellement la patrie.

- La patrie c'est un sorte de communion d'idées, de sentiments, de goûts, de mœurs, d'intérêts qui fait qu'on veut vivre ensemble, à part des étrangers.
— Ah ! elle est touchante la communauté d'idées et de sentiments qui unit les Français cléricaux et anticléricaux, antisémites et libres-penseurs, nationalistes et dreyfusards, royalistes, bonapartistes, républicains et socialistes ? Et notez bien que ce touchant accord existe en Italie, en Espagne, en Angleterre. Tous les jours, il se traduit, là comme chez nous, par des polémiques ardentes, des injures, des échanges de gifles et de coups de poing, et de temps à autre par des coups de fusil.
Elle est belle, n'est-ce pas, la communion d'idées et de sentiments qui unit les patriotes d'un même pays ?
Si, dans un même pays, riches et pauvres veulent rester du même groupement, continuer à vivre ensemble, à l'écart des étrangers, et se méfient des autres peuples, c'est que dans toutes les patries les riches enseignent aux pauvres la haine des étrangers et des autres patries. Autrement, les ouvriers et paysans de France n'auraient pas plus de répugnance à vivre dans la même patrie que les paysans et les ouvriers d'Allemagne, que les Suisses français et allemands n'en ont à vivre dans une seule et même patrie.

— La patrie est une mère, notre mère commune ; c'est une grande famille dont tous les membres ont des intérêts communs.
— Ceci est un comble. On dirait que les gens qui écrivent ces choses cocasses ignorent la lutte acharnée qui existe entre tous les concurrents d'une même industrie, l'antagonisme d'intérêts qui sépare, dans un même pays, protectionnistes et libres-échangistes; après tout, peut-être qu'ils considèrent que les grèves, même quand elles s'accompagnent de sacs d'usines et de fusillades de grévistes, manifestent, à un haut degré l'harmonie et l'entente qui règnent entre le patronat et les salariés ?
Dans ces singulières familles, que sont les patries, quelques uns des enfants sont assis autour d'une table bien garnie, ou rien ne manque, pas même ce que le vulgaire appelle l'assiette au beurre. Ils mangent, ils boivent, ils devisent joyeusement, ils s'amusent; jouissances intellectuelles et matérielles, rien ne leur manque. La vie est pour eux un long banquet.
Pendant ce temps, les autres membres de la famille travaillent comme des bêtes de somme, ils battent le beurre pour qu'on n'en manque pas à la table de leurs frères les privilégiés.
La patrie est une mère !
Qu'est-ce qu'une mère ?
C'est une femme bonne, aimante, qui, à la table de famille, partage ce qu'elle a entre tous ses enfants, qu'ils soient beaux ou laids, solides ou malingres, gâtant même de préférence les malades.
Mais ce n'est pas une mère que la femme qui, à la table de famille, gorge quelques-uns de ses enfants, et laisse les autres, souvent ses plus méritants, manquer du nécessaire ; ce n'est pas une mère, c'est une marâtre.
Les patries, des mères ! Allons donc, des marâtres cruelles que tous leurs fils déshérités ont le droit et le devoir d’exécrer.