lundi 12 avril 2010

Un peu d'histoire: Le SPD d’avant 1914

Dans la polémique de 1910-1912 concernant « la grève de masse » entre, d'un côté, Luxemburg et Pannekoek, et de l'autre, Kautsky, les deux côtés ont partagé la même supposition : que dans l'Allemagne de l'époque il existait réellement un mouvement socialiste de masse embrassant un tiers de la classe travailleuse, avec bon nombre de membres du Reichstag, une presse quotidienne et hebdomadaire, de nombreux employés salariés (y compris tous les trois polémistes). Dans ces conditions le débat portait sur quelle devrait être la tactique d'un mouvement socialiste de cette dimension - et, donc, pas comme nous aujourd'hui, capable d'influer sur le cours des événements - en vue d'augmenter sa force. Kautsky, tout en n'étant pas opposé à des grèves politiques dans certaines circonstances, plaidait pour donner la priorité à l'augmentation du nombre de membres du SPD au Reichstag. Luxemburg et Pannekoek disaient que l'action parlementaire devrait être accompagnée par des actions extra-parlementaires, comme moyen, en particulier, de démocratiser le système électoral en Prusse, c'est-à-dire pour une reforme démocratique.

La question que l’on peut poser est celle-ci : si un mouvement socialiste révolutionnaire embrassant un tiers de la classe travailleuse existait réellement, quelles devraient être ses tactiques ? Est-ce qu'on peut supposer qu'il s'abstiendrait de participer à des élections (quand des sièges seraient là à prendre) ? Ou qu'il s'opposerait à ce que les travailleurs s'organisent dans des organisations permanentes en vue de négocier le prix de leur force de travail avec les employeurs ?

Bien entendu, c'était une grande illusion. Le SPD n'était pas un parti socialiste révolutionnaire ; son soutien parmi les travailleurs n'avait pas été construit sur la base du programme socialiste. Il était effectivement ce que Bernstein voulait qu'il admette d'être : un parti de réforme démocratique et sociale au sein de la société capitaliste.

Ceci devient évident en 1914 lorsque les membres SPD du Reichstag votent pour la guerre. Et c'était cet événement, plutôt qu'un facteur économique tel que la saturation des marchés ou une chute permanente du taux de profit (ou une transition mystérieuse de la domination formelle a la domination réelle du capital), qui a provoqué un ré-appréciation des tactiques d'avant la guerre, y compris celles prônées par Luxemburg et Pannekoek (qui comprenaient l'action électorale et syndicale).

Nous ne savons pas si, oui ou non, Luxemburg aurait abandonné complètement ces tactiques puisqu'on ne lui a pas permis de vivre assez longtemps (mais probablement pas, étant donné que dans son discours lors du congrès qui a établi le Parti communiste d'Allemagne, elle a parlé en faveur de participation aux élections à l'assemblée constituante allemande). Mais Pannekoek l'a fait, tout comme Otto Rühle (qui avait été élu SPD au Reichstag). Eux, ils ont tiré la conclusion que les nouvelles tactiques devraient comprendre une position abstentionniste et antiparlementaire (position qui était regardée auparavant comme exclusivement anarchiste, voire comme une des caractéristiques définissant l'anarchisme). Toutefois, ni l'un ni l'autre ne s’est opposé à la formation d'organisations permanentes ouvrières sur le terrain économique (cette position absurde semble être l'invention des intellectuels français des années 70), mais seulement aux syndicats existants.
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