dimanche 28 février 2010

Qui a sauvé les banquiers ?

On nous dit que c’est nous, « contribuables », qui avons sauvé les banquiers. Ça n’est pas aussi simple…

Les gens sont remontés contre les banques, leur reprochant d’avoir causé la crise, qu’il a fallu les renflouer et qu’ils versent encore des bonus obscènes. Ils les voient comme ne produisant rien, brassant juste de l’argent.

Certaines de ces critiques sont justifiées, d’autres pas. Les banques ne produisent rien d’utile, elles n’en jouent pas moins un rôle essentiel sous le capitalisme. Si elles n’ont pas causé la crise, elles s’y sont vautrées comme tout business face à des profits faciles. C’est l’impératif de chercher des profits qui amène régulièrement des crises.

Grâce à qui les banques ont-elles été tiré d’affaire ? N’ont-elles pas été renflouées par les contribuables, et n’est-ce pas nous qui sommes les contribuables? Oui et non. Elles ont été renflouées par le gouvernement, dont la principale source de revenus ce sont les impôts. Mais il nous faut critiquer cette expression de « contribuables » dans laquelle tous ceux qui paient l’impôt auraient des intérêts communs.

Ce qui compte vraiment pour les salariés, c’est le salaire net, net d’impôts et de « contributions », ce avec quoi il faut vivre. On ne vit pas avec un salaire brut, avant prélèvements obligatoires. Dans certains pays, le prélèvement fiscal se fait d’ailleurs à la source. La TVA, de même, augmente le coût de la vie, mais le marché du travail fonctionne sur le pouvoir d’achat réel.

En ce sens, quelque soient les contribuables physiques, ce sont les employeurs et propriétaires fonciers qui paient finalement l’impôt, même si toutes les taxes, les impôts, le renflouement des banques viennent des richesses produites par les travailleurs, par leur force de travail physique ou intellectuelle vendue à leurs employeurs contre un salaire, puisque toute production réelle de richesse vient de cette force de travail. Nous avons déjà été volé, les impôts tombent sur ceux qui nous ont volé, et ce sont eux qui par l’intermédiaire de l’État ont renfloué les banques. Ça ne leur a pas plu, même si ça leur était nécessaire, et ils ont mobilisé les médias contre les « banquiers ». Mais les excès des banquiers, si scandaleux soient-ils, ne sont pas vraiment notre affaire. Laissons se quereller les voleurs sur ce qui nous a déjà été volé. Les banquiers sont certainement des parasites inutiles, mais des parasites de parasites, des parasites de ceux qui exploitent directement le travail productif.

L’argent qui a servi au renflouement ne venait pas que des impôts, une partie est venue d’emprunts auprès des capitalistes. La classe capitaliste n’aime guère cela car ça signifie qu’une partie des impôts qui tombent sur elle doit servir à rembourser avec intérêt ceux des siens qui ont prêté de l’argent au gouvernement. C’est ce qu’on appelle la dette publique, en fait la dette de l’État capitaliste, consistant en un transfert de richesse d’une section à une autre au sein de la classe capitaliste. Là encore, ce n’est pas notre affaire: leur dette n’est pas la nôtre. Sauf que la classe capitaliste – et ses représentants politiques au parlement, les politiciens de tous poils – a engagé une campagne pour réduire les coûts de ces remboursements aux capitalistes en rognant sur les services publics fournis à contrecœur aux travailleurs. Les travailleurs, sous le capitalisme, sont les sempiternelles victimes. Une bonne raison pour ne pas supporter plus longtemps le capitalisme.

--adaptation d'un article du Socialist Standard de février affichée ici. Voir aussi cet extrait sur la question des impôts sur le même site.


lundi 22 février 2010

L’échec du réformisme

L’amélioration du sort des salariés fut, c’est vrai, avec l’État-providence, l’une des grandes conquêtes du réformisme. La sécurité sociale (d’ailleurs introduite au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale, non par des « socialistes » mais par le gouvernement du Général de Gaulle), la retraite à soixante ans, les congés payés, la réduction du temps de travail, les allocations chômage, etc. représentent des réformes qui ont grandement amélioré les conditions de vie des salariés.

Mais les avancées de la première partie du 20ème siècle font maintenant partie d’une époque révolue. Depuis la crise mondiale des années 1970, qui mit fin brutalement au boom économique d’après-guerre, aucune amélioration significative dans aucun domaine important pour les salariés ou leurs familles (santé, protection sociale, logement, éducation, etc.) n’a été introduite. Pire encore, depuis cette époque, nos acquis sociaux – nos « privilèges » – (sécurité sociale, retraite, allocations chômage, etc.) n’ont cessé d’être les cibles des gouvernements de tous bords.

La raison en est l’intensification de la concurrence sur les marchés mondiaux qui suivit la période « dorée » d’après-guerre (les fameuses « Trente Glorieuses », qui ne furent, d’ailleurs, ni trente ni glorieuses pour tout le monde). Pour permettre à leurs entreprises nationales de rester compétitives, les gouvernements de tous bords furent contraints de prendre des mesures destinées à augmenter les profits et, donc, à diminuer les salaires – relatifs et/ou réels – et les acquis sociaux des salariés.

En effet, les profits réalisés sur le marché sont, non seulement la source de financement des investissements, nécessaires au maintien de la compétitivité et à l’amélioration de la productivité, mais aussi la principale source de revenus des gouvernements. C’est cette situation économique mondiale qui a déclenché les attaques de la classe capitaliste, relayée par ses médias, contre les impôts « trop lourds », les « privilèges » des fonctionnaires, etc. et en faveur d’une réduction du budget – et du personnel – de l’État. Les gouvernements, y compris les gouvernements « socialistes », prisonniers de cette situation internationale, n’ont eu d’autre choix que de s’y plier, mettant fin à l’illusion réformiste.

L’histoire politique et économique de la France, depuis le milieu des années 1970 est en fait l’histoire des moyens adoptés par les gouvernements, de droite comme de gauche, pour réduire les ponctions de l’État sur les profits. Toutes les réductions d’impôts et de taxes payés par les entreprises, supposées « lutter contre le chômage », « préserver la compétitivité de « nos » entreprises », n’ont été, en réalité, que des mesures destinées à accroître la part des revenus financiers au détriment des salaires.

S’il est un fait que le réformisme politique a pu obtenir des avancées pour les salariés (après tout, en tant que salariés nous-mêmes, nous ne pouvons qu’accueillir favorablement la création de la sécurité sociale, la mise en place des congés payés, la réduction du temps de travail ou l’abaissement de l’âge de la retraite), il est non moins indéniable que ces réformes sont toujours sous la menace de leur remise en cause, et ce, sous les prétextes les plus divers et les plus « réalistes » (pour défendre « nos » entreprises face à la concurrence étrangère ; en raison du vieillissement de la population ; à cause du « trou » de la sécurité sociale, etc.), comme le montrent le recul de l’âge de la retraite, la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, les baisses des remboursements de la sécurité sociale, la diminution des allocations chômage, etc.

Les capitalistes les plus lucides voyaient, d’ailleurs, un autre intérêt dans les réformes : mieux vaut une main d’œuvre satisfaite et en bonne santé et, donc, plus productive et moins sujette à l’absentéisme. La création de la sécurité sociale, au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale est, de ce point de vue, un cas exemplaire. En effet, malgré les ravages causés par la guerre à l’économie, le gouvernement et le patronat trouvèrent l’argent nécessaire à la mise en place de la sécurité sociale. Aujourd’hui, alors que les richesses produites sont sans commune mesure avec celles créées il y a plus de 60 ans par une économie dévastée, les mêmes prétendent n’avoir plus d’argent pour financer le « trou » de la sécurité sociale. Pourquoi ? Tout simplement parce que le chômage de masse fournit aux employeurs un tel réservoir de main d’œuvre qu’ils n’ont plus à se préoccuper de notre santé. Si nous tombons malades, d’autres nous remplaceront.

Un autre exemple est constitué par l’abaissement, en avril 1983, de l’âge de la retraite à 60 ans, qui « constitue une grande conquête sociale, espérée depuis la fin du siècle dernier », mais ne faisait qu’abroger une mesure régressive antérieure. En fait, il rétablissait la situation qui existait avant la guerre, grâce à une loi de 1930 qui avait fixé l’âge de la retraite à 60 ans, mais qu’une ordonnance de 1945 (signée par un certain Ambroise Croizat, Ministre « communiste » du Travail et de la Sécurité Sociale) avait quelque peu rogné en diminuant de moitié la pension reçue à 60 ans, obligeant les salariés à travailler au-delà. L’abaissement effectif de l’âge de la retraite en 1983, s’il représente indiscutablement un progrès pour les salariés, répondait, en réalité, à la nécessité d’assainir le marché du travail face à un chômage en progression constante... tout comme son relèvement, en 1945 n’avait été qu’une réponse à la pénurie de main d’œuvre existant à l’époque.

Le réformisme a cessé depuis longtemps d’être un courant du mouvement socialiste et s’est converti en une simple solution de remplacement pour la gestion du capitalisme. Après plus d’un (trop long) siècle de réformisme, une constatation s’impose : ce ne sont pas les partis « socialistes » et travaillistes qui ont graduellement changé – « humanisé » – le capitalisme, mais celui-ci qui a peu à peu changé et déshumanisé les partis réformistes .

L’engagement initial de ces partis (ne serait-ce que verbal) en faveur du socialisme a laissé la place au simple électoralisme, à la poursuite (jamais satisfaite), puis à l’abandon, des réformes, à l’acceptation sans fard du capitalisme et à une gestion gouvernementale difficile à distinguer de celle de leurs « adversaires » de droite.

Au sens où les sociaux-démocrates du 19ème siècle et du début du 20ème l’entendaient, c’est-à-dire en tant qu’améliorations de la condition des travailleurs, des réformes, il n’y en a plus. Tous les partis politiques actuels se déclarent réformistes ou réformateurs, tous proposent des « réformes ». Mais ce qu’ils entendent par là n’a plus rien à voir avec le sens originel de ce terme. Aujourd’hui, tout retour en arrière, toute attaque contre la classe travailleuse, toute suppression ou amputation d’une réforme antérieure, obtenue parfois au prix de longues luttes, de lourds sacrifices et de violentes répressions, est une réforme. Le réformisme issu du courant social-démocrate est mort et enterré.

Les partis réformistes constituent désormais des instruments au service du capitalisme. Tous acceptent – et défendent – l’appropriation privée des moyens d’existence de la société par une petite minorité privilégiée, se faisant, de ce fait, les complices de la domination politique, économique et sociale de cette minorité parasite sur l’ensemble de la société ; tous tentent de nous faire croire qu’il est possible de concilier des intérêts aussi diamétralement opposés que ceux des patrons et ceux des salariés.

Ce qui devrait être une évidence, depuis longtemps, pour les salariés, c’est que le réformisme, parce qu’il ne remet pas en cause le capitalisme, la cause première, pourtant, de tous nos problèmes, et, donc, parce qu’il accepte le risque que les réformes gagnées soient toujours menacées, est une impasse pour eux et une bouée de sauvetage pour la classe dominante.

vendredi 19 février 2010

Le chemin du socialisme: Kropotkine, Morris et Marx

C'est le thème d'un forum de discussion qui se tiendra à Londres le samedi 27 mars prochain au local du Parti socialiste de Grande-Bretagne (SPGB), à 16h (entré libre). Avec la participation de Brian Morris (auteur de Kropotkin: The Politics Of Community et de Bakunin: The Philosophy Of Freedom)  et d'Adam Buick (co-auteur de Marxian Economics and Globalization et de State Capitalism: The Wages System under New Management). C'est dans la tradition du SPGB d'organiser régulièrement des débats contradictoires.

lundi 15 février 2010

Marx, Keynes et Mattick


Gallimard vient de rééditer Marx et Keynes de Paul Mattick, publié pour la première fois en 1969 en anglais et en traduction française en 1972. On comprend pourquoi. La crise actuelle a suscité un intérêt renouvelé en Keynes qui a formulé sa théorie en réponse à la dépression des années trente.

Mattick analyse bien le keynésianisme comme étant une théorie moderne du réformisme qui préconise, comme les partis de gauche l’ont toujours fait, l’intervention de l’Etat pour essayer de réaliser et de maintenir le plein emploi et de redistribuer le revenu des riches aux pauvres. Il expose bien également la théorie économique de Marx, en reconnaissant par exemple qu’elle n’était pas une théorie de sous-consommation comme on la présente souvent.
Dès le siècle dernier, Malthus, entre autres, faisait de ce problème de la réalisation [de la plus-value] le nœud des difficultés auxquelles le capitalisme se heurtait. Et, au début du siècle actuel, le marxiste Rosa Luxemburg voyait dans ce même problème la raison objective des crises et des guerres ainsi que de la disparition finale du capitalisme.

Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec Marx qui, tout en estimant, il va de soi, que le monde capitaliste réel était en même temps processus de production et processus de circulation, soutenait néanmoins que rien ne peut circuler qui n’a pas été produit au préalable, et accordait pour ce motif la priorité à la production. Dès lors que seule la création de plus-value permet une expansion accélérée du capital, quel besoin a-t-on de supposer que le capitalisme se trouvera ébranlé dans la sphère de la circulation ? » (pages 115 -116)
Toutefois l’histoire n’a pas donné raison à sa thèse principale, c’est-à-dire que l’« économie mixte » (privée et d’Etat) résultant de l’application du keynésianisme ne pouvait qu’être un stade transitoire vers un système plus complet de capitaliste d’Etat (d’où le sous-titre de son livre de « Les limites de l’économie mixte »).

Non seulement le capitalisme d’Etat russe s’est effondré mais à l’Ouest on a vu dans les années 80 (Mattick est décédé en 1981) l’abandon des politiques keynésiennes et un retour limité vers le laisser-faire sans que l’économie ait cessé d’être « mixte ». Si Mattick revenait il serait sûrement embarrassé par ses prédictions d’il y a 40-50 ans.

Cela dit, le chapitre final de ce livre (« En guise de conclusion ») reste valable en tant que critique claire du capitalisme et plaidoirie forte pour le socialisme à établir par l’auto-activité de la classe travailleuse.

Un article de Mattick sur le même sujet et sous le même titre, paru dans le Western Socialist de novembre-décembre 1955, se trouve ici.

jeudi 11 février 2010

Le jeu du Capitalisme

Le capitalisme est comme un jeu de Monopoly qui met en jeu la vie et la mort. Et nous n'avons pas d'autre choix que d'y jouer. L’idéologie dominante nous dit que c’est grâce à la compétition que tout se produit. La plupart des jeux sont basés sur la compétition et celle-ci peut donc se montrer très amusante. Les jeux coopératifs sont généralement moins intéressants. Mais nous sommes en train de parler d'amusement, pas de vie ou de mort. Forcer les gens à participer à un jeu compétitif où la plupart des règles sont truquées au départ et où le résultat peut être fatal n'est pas quelque chose d'amusant, c'est assez révoltant. Nous pensons que la concurrence fait marcher le monde, mais tout ce qu'elle fait c'est nous faire courir — souvent par terreur.

Le point de vue alternatif est que la coopération est la stratégie dont nous avons besoin pour faire fonctionner le monde. L’idéologie du capitalisme dit le contraire. Mais nous devons coopérer pour jouer le jeu du capitalisme. Nous devons être en accord, de manière coopérative, pour être en compétition. La coopération ne nous est donc pas étrangère, même dans le capitalisme. Nous coopérons déjà, mais nous coopérons contre nos propres intérêts. Les joueurs dans le jeu du Monopoly de la mort doivent avoir été tous d'accord sur les règles, ou bien ils n'y joueraient pas. Alors pourquoi continuons-nous d'y jouer ? Selon l’idéologie dominante, c'est le seul jeu qui existe. Est-ce vrai ?

Peut-être que la raison pour laquelle nous continuons à jouer à ce jeu de compétition est que nous n'avons simplement pas encore décidé de ne plus y jouer. Aussi longtemps que nous en acceptons les règles, le jeu se doit de continuer. Ainsi, la question est la suivante : si on vous donnait le choix, accepteriez-vous ces règles ?

Ainsi, nous acceptons tous la propriété privée des ressources naturelles, de la richesse, etc. La propriété ne signifie pas que vous ayez la liberté de profiter de quelque chose, elle signifie que vous pouvez empêcher n'importe qui d'autre d’en profiter. A moins que vous ne soyez riche, la propriété ne vous rend pas libre, elle vous enchaîne. Pensez-y. Si je pouvais posséder l'air que vous respirez, en d'autres mots, vous priver de l’accès à celui-ci, je serais maître du monde et vous seriez tous mes esclaves. Vous penseriez que ce n'est pas très équitable, mais ça n’a rien à voir.

C'est ainsi que les règles de la propriété fonctionnent et nous avons tous accepté cela. Le commerce, les marchés, la concurrence, la pénurie, les guerres, la pauvreté et le reste, tout cela découle de ce seul principe. C'est un principe sacré. C'est encore plus ancien et sacré que la Bible ou le Coran. C'est même plus sacré que la vie elle-même. Ou du moins, c'est ce que l'on nous a enseigné. Idéologie. Et en raison de cette idéologie, nous croyons qu'il est normal que les riches doivent être riches et donc que les pauvres n'ont qu'à être pauvres. Et ainsi le jeu continue.

Ce que vous devez faire, c'est vous demander pourquoi vous jouez à ce jeu de la propriété privée et qu'est-ce que vous y gagnez réellement. Bien sûr, vous pouvez posséder une certaine propriété. C’est le cas de la plupart d’entre nous. Vous pouvez même posséder votre propre maison et votre propre voiture, bien que vous les avez probablement eues toutes les deux par crédit et vous les rembourserez toute votre vie.

Maintenant, demandez-vous quelle sécurité vous avez réellement. Vous devez travailler et vous pourriez perdre votre emploi. Vous vivez sur une planète qui se réchauffe tandis que la pollution augmente sans cesse et que les politiciens font des promesses vides de sens. Ce jeu auquel nous jouons ne durera pas toujours. Quand les forêts auront finalement disparu et que les calottes glaciaires auront finalement fondu, il sera peut-être trop tard pour remettre en question les règles du Monopoly de la mort. Il pourrait n'y avoir plus de propriété qui vaille la peine d’être possédée.

Certains disent que le capitalisme est la fin de l'histoire. En fait, le capitalisme pourrait bien être notre fin à tous.