lundi 2 janvier 2012

Qui sont « les 99% » ?

L'appel du mouvement « Occupons » aux 99% a rouvert la question de la définition du « prolétariat », ou de la classe ouvrière, définition-clef pour tous ceux qui pensent que la révolution socialiste ne peut qu'être « l’œuvre de la classe ouvrière elle-même ».

Il y en a qui veulent exclure les instituteurs (et les autres enseignants) et les fonctionnaires en général de la classe ouvrière. Ils disent que ces salariés appartiennent à une autre « classe », une prétendue « classe moyenne ». Ils argumentent cette conclusion en disant que les instituteurs et les autres fonctionnaires d’État ne produisaient pas de plus-value, ce qui revient à dire que le prolétariat/classe ouvrière se compose des seuls travailleurs producteurs de plus-value. D’après nous, ceux qui prennent cette position se trompent.

1. Ils ignorent le concept de « travailleur collectif » introduit par Marx pour expliquer le fait que le processus de la production elle-même n'était plus effectué par des individus isolés mais par une collectivité composée de tous les travailleurs, y compris des « cols blancs », d'une unité de production et travaillant comme un tout. Il est vrai que Marx se referait à ce phénomène surtout au niveau de l'usine, mais il semble légitime de l'étendre aujourd'hui au niveau de la société. Aujourd'hui, presque tous les travailleurs contribuent, soit directement, soit indirectement, à la production du produit social, y compris sa partie plus-value ; les instituteurs, par exemple, en formant la force de travail des futurs producteurs.

2. De toute façon, un travailleur qui ne produit pas de la plus-value est toujours un travailleur. De tels travailleurs dépendent, pour survivre, de la vente de leur force de travail et, même s'ils ne produisent pas une plus-value pour un capitaliste, ils produisent quelque chose quand même — une valeur d'usage — soit pour un capitaliste ou un autre riche, soit pour la classe capitaliste ensemble, soit même pour un autre travailleur. Cette distinction que l'on veut faire entre travailleurs productifs et travailleurs non productifs n'a aucun sens hors l'analyse économique abstraite et crée des divisions, incitant travailleur contre travailleur.

3. Les classes se définissent par rapport au contrôle effectif sur l'accès aux, et sur l'utilisation des, moyens de production. Comme Engels l'a exprimé dans une note qu'il a ajoutée à l'édition anglaise de 1888 du « Manifeste Communiste» (tout au début de la section « bourgeois et prolétaires») :
On entend par bourgeoisie la classe des capitalistes modernes, propriétaires des moyens de production sociale et qui emploient le travail salarié. On entend par prolétariat la classe des ouvriers salariés modernes qui, privés de leurs propres moyens de production, sont obligés, pour subsister, de vendre leur force de travail.
Dans ce sens, une « classe moyenne » entre ces deux classes peut exister. Elle serait composée de ceux qui sont propriétaires de leurs propres moyens de production, mais qui n'emploient le travail salarié, ou du moins pas assez pour ne pas devoir travailleur eux-mêmes. Un tel groupe — « classe », si on veut — existe : les « indépendants », ce qu'on appelle officiellement en Belgique « les classes moyennes » ou en anglais les « self-employed ». Cette « classe moyenne » ne constitue pas plus que, disons, 5 % de la population active. En tout cas, ni les instituteurs, ni les fonctionnaires n’en font partie.

4. Au contraire, les instituteurs et les (autres) fonctionnaires font partie, de toute évidence, de la classe de ceux « qui, privés de leurs propres moyens de production, sont obligés, pour subsister, de vendre leur force de travail » ; donc, du « prolétariat », de la « classe ouvrière », ou, terme à se préférer, de la « classe travailleuse », ou même de la « classe salariée » (même si, c'est vrai, il y a des PDG, etc. et des hauts fonctionnaires d’État ou d'entreprises nationalisées qui prennent leur part de la plus-value en tant que membre de la classe capitaliste exploiteuse sous la forme d'un « salaire »).

Ceci n'est pas une discussion abstraite. La définition qu'on a du prolétariat/classe ouvrière/classe travailleuse a des conséquences sur comment on voit non seulement la révolution socialiste mais aussi les luttes d'aujourd'hui. Si la révolution socialiste serait l’œuvre des seuls travailleurs désignés « productifs » (de la plus-value) on doit l'envisager comme une révolution minoritaire. Et on arrive à répercuter le point de vue de « l'homme de la rue » (et de la presse bourgeoise) que les mouvements et grèves des fonctionnaires ne sont qu’« une bataille pour la redistribution de la plus-value » et donc antiprolétariennes.

Tous ceux qui, privés de leurs propres moyens de production, sont obligés, pour subsister, de vendre leur force de travail font partie de la classe travailleuse et ont un intérêt commun de se réunir pour mener le combat pour l'abolition du salariat. S'ils ne sont pas littéralement 99% ils — nous — sont au moins 90% dans les parties industrialisées et urbanisées du monde.


1 commentaire:

Stephane a dit…

Tout à fait. Il ne faut pas réduire la classe travailleuse, le prolétariat, aux seuls travailleurs productifs (de plus-value); tout comme il ne faut pas confondre les capitalistes avec les banquiers, comme semblent parfois le faire les militants du mouvement Occupy.