mercredi 18 mars 2009

Marx et la Commune de Paris

A l'occasion de l'anniversaire aujourd'hui de la proclamation de la Commune de Paris en 1871 nous reproduisons un article paru dans Socialisme Mondial en 1976.

Les événements survenus à Paris en mars 1871 ont dû lors passer pour une importante convulsion politique. Le gouvernement français perdit son contrôle sur Paris à l'avantage d'un conseil municipal, la Commune, composé de républicains extrémistes, ayant pour bannière le drapeau rouge, et qui proclamaient l’émancipation du travail. Il est vrai que ces événements n'avaient pas de précédents. Jamais auparavant un gouvernement n’avait prétendu représenter les intérêts de la classe travailleuse ; jamais auparavant un si grand nombre d'ouvriers n'avait pris part à l’administration politique d'une grande ville. Il y eut, bien sûr, de nombreux gouvernements depuis 1871, au niveau régional et aussi national, qui se sont dénommés « travaillistes » ou « communistes » et auxquels des ouvriers participèrent, mais la Commune de Paris était la première.

En 1870, Marx travaillait encore activement pour l'Association Internationale des Travailleurs, fondée cinq ans auparavant. Sa stratégie à long terme avait pour but d'encourager la classe travailleuse dans tous les pays à agir séparément, et se préparer ainsi à une action politique socialiste. Il était hostile aux insurrections immédiates telles que les préconisaient Blanqui, entre autres, et l'anarchiste Bakounine. En effet, sa première réaction fut de s'opposer à l'idée d'un soulèvement à Paris suivant la défaite française dans sa guerre contre la Prusse en septembre 1870. Dans un manifeste, publié par l'AIT en septembre pour marquer le renversement de Napoléon III et la proclamation de la République Française, Marx conseillait à la classe ouvrière française de ne pas tenter de renverser le nouveau gouvernement, mais plutôt de travailler au sein de la république et de se renforcer progressivement.

Les révolutionnaires parisiens, qui en dépit de ce conseil, essayèrent de s'insurger en octobre 1870 et en janvier 1871, étaient formés de deux éléments : les jacobins et les blanquistes qui s"inspiraient de la première République française de 1792 et qui étaient la majorité, et la section parisienne de l'AIT qui s'intéressaient davantage à organiser les travailleurs. Seulement quelques-uns parmi eux étaient socialistes tels que Marx l’était, mais la plupart étaient en faveur de réformes sociales pour les travailleurs (ceci suffisait à l'époque pour être considéré socialiste).

Quand Paris se souleva en mars 1871, en réponse à la tentative provocante du gouvernement d’emporter le canon des Gardes Nationaux, milice en grande partie ouvrière, Marx admit que les révolutionnaires n'eurent pas le choix ; si l'on avait laissé le gouvernement réussir, cela n'aurait fait que démoraliser la classe travailleuse. C'est pourquoi Marx supporta entièrement la commune insurrectionnelle, une fois établie, bien qu'il sut qu'elle ne durerait que peu, et qu’elle n'était pas vraiment socialiste.

Pour s'informer sur la commune la plupart utilisent le manifeste écrit par Marx en 1871, juste après la suppression violente de Paris au milieu d'une tuerie, au nom de l'AIT appelée La Guerre Civile en France. C'est surtout un document propagandiste défendant et honorant le nom de la commune et ceux qui sont morts pour elle. Cependant, il donne, à bien des égards, une impression trompeuse de ce que la commune fut en réalité, et la revêt d'un caractère socialiste, qu'elle n'eut certes jamais ; plus tard ceci fut admis par Paul Lafargue qui était un intime associe de Marx.

Marx écrivit à propos de la Commune que son but fut de « servir de levier afin de déraciner les fondations économiques sur lesquelles repose l’existence des classes, et par conséquent de l'autorité d'une classe ». Cela suggère que le but conscient de la commune de Paris fut d'établir le socialisme. Mais il n'en fut pas le cas (et même si cela l'avait été, les chances qu'elle avait de survivre n'en auraient pas été modifiées). Ceux qui envisageaient ainsi les tâches de la Commune étaient en minorité, alors que, sa majorité, jacobins et blanquistes s'inspiraient davantage des événements de 1792 que du socialisme et perdaient leur temps avec des « comités de salut public », et à rassembler prêtres et nonnes, et même à rétablir l'ancien calendrier révolutionnaire.

Le fait que Marx ne distinguait pas toujours distinctement entre la commune en tant que système idéal de gouvernement démocratique et la commune du régime qui, réellement, gouverne Paris du mois de mars au mois de mai 1871, rend difficile une juste estimation de ses opinions sur la commune.

Peu imports les mérites de la commune telle que les travailleurs auraient dû l'établir en tant que système d’administration s'ils avaient gagne le pouvoir ou que ce soit en 1871 — et cent ans plus tard ça ne peut être qu'une discussion académique — en réalité la commune de Paris n’était pas un instrument politique entre les mains d'une majorité consciencieusement socialiste. Et même elle n’était pas aussi démocratique que la description Marx en fit dans La Guerre Civile en France avant qu'il n'eût vraiment la chance de vérifier les faits. Par exemple, ce n'est pas le salaire d'un ouvrier ordinaire que touchaient les membres de la commune, mais trois ou quatre fois celui d'un ouvrier qualifie moyen.

Dix ans après, Marx insinua et admit qu'il avait donné en 1871 une description trompeuse de la Commune. Un social-démocrate hollandais, Nieuwenhuis (qui plus tard devint anarchiste) écrivit en 1881 pour lui dire ce que le mouvement socialiste aurait dû faire dès son arrivée au pouvoir. Marx lui répondit le 22 février que le mouvement socialiste accéderait au pouvoir dans n'importe quel pays à condition qu'il fût en même temps assez fort pour l'emporter sur toute résistance capitaliste. Il poursuivit en ces mots :

« Vous me renverrez peut-être si la Commune de Paris. Toutefois, sans parler du fait que ce ne fut la que le soulèvement d'une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n'était nullement socialiste et ne pouvait l'être d'ailleurs. Avec une petite dose de bon sens, elle aurait pu pourtant obtenir de Versailles un compromis avantageux pour toute la masse du peuple : c'est tout ce que l'on pouvait alors atteindre. »
Marx reconnut donc en 1881 que la Commune ne fut pas socialiste et qu'elle n’aurait pu réussir sans n’avoir abouti à quelque compromis avec le gouvernement français. Nous pouvons seulement nous demander à quel genre de compromis Marx pensait, mais il était probablement à l'établissement d'une république démocratique bourgeoise qui permettrait aux travailleurs de s'organiser sur le plan industriel et politique.

En fait l'échec de la Commune justifia la perspective de Marx pour les travailleurs : de former petit à petit leurs forces politiques et industrielles, plutôt que d'essayer d'organiser de soudains soulèvements armés contre l'Etat capitaliste. La Commune de Paris fut un soulèvement de ce genre, un incident important mais exceptionnel dans l'histoire de la classe travailleuse, qui démontra la futilité de la barricade et de ceux, comme Blanqui et Bakounine, dont les tactiques reposaient dessus.

(Socialisme Mondial 6, 1976)

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