samedi 1 janvier 2011

Ils ont raison (6)

ABOLITION DU TRAVAIL SALARIÉ

Le travail salarié devient la seule forme d'activité productive que le capital laisse aux hommes. Il faut des années de dressage pour qu'ils acceptent de perdre le tiers de leur temps en travaillant et de gâcher les deux autres tiers pour se remettre de leur travail.

Les idéologues affirment que le travail est nécessaire parce qu'ils assimilent production de marchandises et richesse sociale. Etre riche ne veut plus dire mener une vie passionnante mais être possesseur de quantités de biens. Voilà bien l'expression de l'imbécilité bourgeoise ! La société actuelle condamne le prolétaire à s'abrutir dans une activité idiote pour accumuler des objets dérisoires, et l'entretient dans l'espoir que de là sortira la joie de vivre.

Le temps perdu à travailler, les désirs non réalisés, sont échangés contre le salaire. Cette récompense qu'obtient le travailleur pour sa participation à la production de marchandises ne permet de se procurer que des marchandises. Elle ne donne droit qu'à ce qui s'achète, elle est incapable de rendre notre vie passionnante. Ce à quoi on renonce dans le travail ne nous est jamais rendu. La misère de la consommation répond à la misère du travail. Toute activité « libre » revêt un caractère inhumain : ainsi boire tourne à l'alcoolisme, se reposer c'est s'abrutir, et apprendre consommer l'idéologie ; tous les penchants physiques et intellectuels sont détournés en manies : le goût du jeu se transforme en hystérie de supporters ou en aliénation chevaline, la pêche et la chasse ne sont plus que des ersatz d'activités aventureuses, le bricolage n'est que la reproduction du travail parcellisé.

Si nous sommes obligés de travailler, la cause n'en est pas naturelle, elle est sociale. Travail et société de classe vont de pair. Le maître veut voir l'esclave produire parce que seul ce qui est produit est appropriable. Le plaisir que l'on trouve dans une activité ne peut être stocké, accumulé, traduit en argent par le capitaliste, alors il s'en fout. Lorsque nous travaillons, nous sommes entièrement soumis à une autorité extérieure. Notre existence n'a plus de sens en elle-même ; sa raison d'être, c'est la production de marchandises.

Depuis son origine, le capitalisme a sans cesse révolutionné les méthodes de production et il a augmenté considérablement la productivité du travail. Le machinisme n'a en rien servi à alléger la peine des hommes. Les professions qui demandaient adresse et attention sont éliminées, non pour permettre des activités plus riches, mais pour faire de tous les producteurs les esclaves du salariat. Dans le salariat généralisé, de l'O.S. à l'ingénieur, il n'y a plus que des degrés dans la misère et surtout dans l'illusion.

Le travail, ce n'est pas seulement la peine, l'effort, le harassement et les cadences infernales. C'est aussi le vide, l'ennui, l'inutilité, l'inefficacité, la dissimulation, pour tous ceux qui sont occupés à brasser du papier, à garnir des guichets, à résoudre d'insolubles et absurdes questions, à sourire et à répondre sur commande, à communiquer un savoir mort, à monter la garde devant de l'or en barre, des usines, des pelouses, des enfants, etc. Le travailleur est façonné par son travail. L'émiettement des tâches, l'habitude de l'obéissance, l'apprentissage de l'incompréhension se répercutent sur sa manière d'être et de penser. Le salarié perd le sens de son rapport réel avec la société et avec le contenu de son activité.

Le capital est une contradiction en procès : d'une part, il pousse à la réduction du temps de travail à un minimum, et, d'autre part, il pose le temps de travail comme la seule source et la seule mesure de la richesse. Le prolétaire anime l'économie marchande dont il est la première victime en cherchant des palliatifs à sa misère : nourriture falsifiée, télévision pour se désennuyer, voiture pour se transporter au « chagrin », tiercé pour entretenir l'espoir... Voilà la richesse de l'homme moderne, le « revenu par tête d'habitant » dont le système est si fier. Depuis quand considère-t-on que l'infirme est plus riche que le bien-portant parce qu'il est possesseur d'un fauteuil à roulettes ?

Une masse croissante de travail ne sert plus à satisfaire les besoins, même aliénés, des consommateurs. Elle se prostitue directement au service du capital. Quelle signification humaine a l'activité des policiers et des militaires, des employés de banque, des travailleurs de la publicité et du commerce ?

Jamais une société n'a disposé d'aussi formidables moyens, jamais elle n'en a fait un usage aussi dément et inhumain. Des centaines de millions de gens tissent, chaque jour, la toile d'araignée qui les emprisonne.

(La Guerre Sociale, 1977)

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