dimanche 13 février 2011

Egypte, Tunisie, Algérie : gare aux « avant-gardes »

« La Révolution en Tunisie ressemble par bien des aspects à la révolution russe de 1917 ; elle a commencé mais n’est pas finie. Elle a éliminé l’ancien régime mais n’a pas encore été capable de mettre autre chose à la place. C’est pourquoi il est possible que la révolution soit défaite, en particulier en l’absence de dirigeant authentiquement révolutionnaire. Si le Parti Bolchévik n’avait pas été là, la révolution de février aurait été défaite. »
Ainsi écrit le dirigeant trotskiste international Alan Woods le 15 janvier.

En effet Lénine fut le premier à élaborer de façon cohérente un projet de parti d'avant-garde. Dans sa brochure Que Faire ? (1902), se basant, sur la présupposition que « livrée à ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience trade-unioniste », il en tira la conclusion que la conscience socialiste devrait lui être apportée par des « intellectuels révolutionnaires socialistes ». Il préconisait une organisation composée « avant tout et principalement d'hommes dont la profession est l'action révolutionnaire », c'est-à-dire un parti d'avant-garde, une minorité consciente, qui dirigerait la majorité inconsciente dans une insurrection.

Cette théorie était le contraire de celle de Marx qui proclamait que « l'émancipation de la classe ouvrière doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes » (Statuts généraux de l'AIT, 1864). Néanmoins la théorie de Lénine était attrayante pour les révolutionnaires anti-tsaristes en Russie puisqu'elle reflétait parfaitement leur aspiration à se substituer à la bourgeoisie privée, trop faible et trop liée au régime tsariste pour agir elle-même, dans la révolution anti-tsariste et bourgeoise qui se préparait — « bourgeoise » dans ce sens qu'elle allait écarter tous les obstacles féodaux au développement du capitalisme en Russie.

En 1917, suite à l'effondrement de l'Etat tsariste sous l'impact de la Première Guerre mondial, Lénine et les bolcheviques, organisés en parti d'avant-garde, s'emparèrent du pouvoir et liquidèrent le tsarisme et le féodalisme en Russie. A leur place ils développèrent l'industrie sous la forme d'un capitalisme d'Etat. Plus tard, sous Staline, grâce à son mono pole du pouvoir, cette avant-garde (ou plutôt la partie qui en restait après les purges de Staline) s'est transformée en nouvelle classe dirigeante et privilégiée, la bourgeoisie d'Etat qui règnait en Russie capitaliste d'Etat jusqu‘en 1991.

Du point de vue historique donc, la théorie du parti d'avant-garde était l'idéologie d'une future bourgeoisie d'Etat qui voulait utiliser le mécontentement des travailleurs et des paysans pour écarter la vieille classe dirigeante et s'installer à sa place.

Dans les pays moins développés cette idéologie joue le même rôle aujourd'hui : c'est l'idéologie des groupes qui aspirent à devenir une nouvelle classe dirigeante sur la base du capitalisme d'Etat. Mais à quoi cela sert-il de remplacer un pouvoir colonial ou une bourgeoisie privée par une bourgeoisie d'Etat, ou de remplacer une bourgeoisie d'Etat par une autre ?

Quelle leçon en tirer ? Que le parti d'avant-garde est à rejeter en tant que forme d'organisation de la classe travailleuse. Pour s'émanciper en établissant une société sans classes et sans salariat dans laquelle la communauté tout entière possédera et administrera démocratiquement, dans son propre intérêt, les moyens et instruments de production et de distribution des richesses (« le vrai socialisme ») les travailleurs n'ont pas besoin de leaders, ni de chefs, ni de dirigeants, ni de meneurs — ni d'aucune avant-garde quelle qu'elle soit — mais seulement de leur propre auto-organisation démocratique et d'une volonté socialiste résolue.

Une révolution dirigée par un parti d'avant-garde, étant une révolution minoritaire, ne conduirait inéluctablement qu'à un gouvernement par une minorité, comme l'histoire l'a démontré maintes fois. Seule une révolution majoritaire peut aboutir à une société sans classes.

Les travailleurs d'Egypte et de Tunisie, ayant gagné une mesure de démocratie politique dans laquelle la lutte de classes peut se dérouler plus facilement, seront bien conseillés de ne pas écouter les avant-gardistes au risque de voir s'installer à la place des anciens régimes une nouvelle dictature — comme effectivement s'est passé en Russie.

1 commentaire:

lejournaldepersonne a dit…

Au suivant !

Et maintenant… A qui le tour ?
Bonjour, bonsoir !
Au suivant… au suivant… au suivant !
Avec ces révolutions à la chaîne… les internautes veulent en finir avec la gangrène…
Et pour nos autres démocrates à la traîne, il ne s’agit plus de casser la baraque,
mais de briser tous les dictats de tous les empires financiers.
A vos blogs citoyens du monde entier !

http://www.lejournaldepersonne.com/2011/02/au-suivant/