dimanche 30 août 2009

La définition de « la classe ouvrière » : un rappel

La classe travailleuse (terme à préférer à « classe ouvrière ») est composée des hommes et des femmes qui, exclus de la possession des moyens de production, sont contraints par la nécessité économique à vendre leur énergie mentale et physique pour gagner leur vie. D'après cette définition, un membre de la classe travailleuse ne se distingue ni par sa façon de s'habiller, de parler, ni par le quartier où il habite ni par son métier, ni par le lieu de son travail, mais par la façon dont il gagne sa vie. Toute personne obligée de travailler pour un salaire - qu'elle soit ouvrier, employé de bureau, fonctionnaire, contremaître ou même cadre - est membre de la classe travailleuse. Dans les pays industrialisé comme la France ou le Canada, les travailleurs salariés constituent l’immense majorité de la population.

lundi 24 août 2009

Encore une fois on détruit de la nourriture

Les paysans français ne sont pas contents. La commission européenne vient d’insister pour qu’ils remboursent des subventions reçues de l’État entre 1992 et 2002. Selon Jacques Rouchaussé, secrétaire général des Producteurs de légumes de France, association spécialisée de la FNSEA, premier syndicat agricole, ces subventions
« visaient à réguler le marché lorsqu'il était engorgé. On autorise le retrait, c’est-à-dire la destruction d’une partie de la marchandise et, pour compenser sa perte, le producteur percevait une aide. » (Libération, 3 août).
Cette année aussi, les conditions climatiques favorables ont entraîné des récoltes massives qui n’ont pas toutes trouvé acheteur. Déjà on a commencé à détruire cette soi-disant « surproduction » (voir ici).

La destruction des « excédents » des denrées alimentaires est scandaleuse. Car il ne s'agit pas d'une véritable surproduction par rapport aux besoins réels mais seulement par rapport aux marchés solvables. A part les millions d'hommes, de femmes et d'enfants dans le monde qui meurt chaque année de faim et les millions d'autres qui sont sous-alimentées, il y en a beaucoup en France qui n’ont pas assez à manger. Pourtant on détruit de la nourriture !

Comment expliquer ce cruel paradoxe de la misère dans l'abondance ? Est-ce qu'il n'y a pas une solution ? Bien sûr qu’il y en a une, mais il faut penser gros. Il faudra en finir complément avec le système de prix-salaires-profits où les biens sont produits non pas pour satisfaire les besoins humains mais pour être vendus en vue du profit.

Pour permettre une telle réorientation rationnelle de la production, il faudra que toutes les ressources du globe deviennent le patrimoine commun de toute l’humanité. Seulement alors des récoltes massives cesseront-t-elles d'être le fléau qu'elles sont dans le monde actuel pour devenir le bonheur qu'elles devraient être.

Certains songent à mettre ces denrées gratuitement à la disposition, par exemple, des établissements hospitaliers de toutes sortes. Sans doute que oui, mais ce n'est pas praticable dans le cadre du système actuel puisque ce serait faire rétrécir encore plus le marché solvable et donc ruiner davantage des producteurs.

Si, par contre, on remplaçait la production pour la vente par la production pour la seule satisfaction des besoins humains, l’abondance serait telle que l'on pourrait penser à distribuer gratuitement à tout le monde non simplement des denrées alimentaires, mais d'autres produits également.

Pourquoi pas ? Ce serait plus logique que ce qui se passe actuellement.

lundi 17 août 2009

Le matérialisme dans le monde antique

Au deuxième siècle de notre ère (années 100 à 200), un certain Alexandre fonda un culte du serpent-dieu, culte centré sur sa ville natale Abonotique, un village de pécheurs et un port situé au bord de la Mer Noire en Asie Mineure (de nos jours le port turc d'Inebolu). Aux dires de son contemporain, Lucien de Samosate, Alexandre était un imposteur et un charlatan — un faux devin .

Pourquoi quelqu'un, à une époque où de tels cultes étaient assez communs, et où de nouveaux surgissaient de temps à autre, souhaiterait-il démasquer l'auteur de l'un d'entre eux ? La réponse réside dans le fait que Lucien, orateur et auteur d'essais et de courts récits vivant à Athènes, était un adepte de la philosophie d'Épicure, c'est-à-dire un Épicurien (avec un E majuscule). Épicure a vécu et enseigné à Athènes près de cinq cents ans auparavant (il naquit en 341 av. J.-C. et mourut en 270 av. J.-C.). Ses conceptions ont eu mauvaise presse tout au long de l'Histoire du fait que le mot « épicurien » (avec un e minuscule) en est arrivé à designer une personne menant une vie consacrée sans limite aux plaisirs raffinés.

Ceci n'était pas ce qu'enseignait ou voulait dire Épicure. Il préconisait plutôt une vie simple agrémentée de plaisirs modérés. Ce qu'il a dit, c'est que les humains recherchaient le plaisir et souhaitaient éviter la douleur, mais que pour y arriver il fallait éviter de nourrir des espoirs exagérés et d'avoir peur. On arriverait à un tel comportement en comprenant que la nature fonctionne suivant ses propres lois (qu'aucune intervention de quelque dieu que ce soit ne pourrait changer) et qu'il n'y a aucune vie après la mort (et donc aucune crainte à avoir après la mort).

L'unique exposé complet de la philosophie d'Épicure qui nous soit parvenu est un long poème intitulé De Natura Rerum (De la nature des choses) écrit en latin par Lucrèce, un Romain vivant au premier siècle avant notre ère. C'est un texte matérialiste classique (qui fut naturellement populaire auprès des philosophes des Lumières en France au 18e siècle).

Les Épicuriens s'intéressaient à « la nature des choses » car ils souhaitaient montrer que des phénomènes qu'en ce temps-là on expliquait généralement comme résultant de l'intervention de dieux (par exemple le mouvement du Soleil, de la Lune et des planètes, mais aussi le tonnerre, les tremblements de terre et les épidémies) avaient une explication naturelle et que, par conséquent, il n'y avait aucune raison d'offrir des prières ou des sacrifices pour les empêcher ou les expier. Bien évidemment, étant données les possibilités limitées de la recherche scientifique et de la vérification à cette époque, leurs explications - basées sur l'hypothèse inspirée que tout dans l'Univers était constitué d'atomes - étaient souvent éloignées de la réalité, mais ce n'est pas là le point principal. Ce qu'ils tentaient de faire, c'était d'expliquer l'Univers et ce qui s'y passe en termes purement naturalistes.

Lucrèce commence son poème didactique en faisant l'éloge d'Épicure parce que, au temps où la vie humaine « trainait à terre les chaînes d’une religion qui, des régions du ciel, montrait sa tête aux mortels et les effrayait de son horrible aspect », « ni les fables divines, ni la foudre, ni le ciel avec ses grondements ne purent le réduire » ; Épicure avait tenu tête à la superstition et l'avait « foulée aux pieds ». Lucrèce continue en disant que cette terreur et ces ténèbres de l’âme ne pourront être dissipées que par la compréhension de la conformation extérieure et le fonctionnement interne de la nature :

« Le principe qui nous servira de point de départ, c'est que rien ne peut être engendré de rien par l'effet d'une puissance divine. Car si la crainte tient enchaînés tous les mortels, c'est que sur la terre et dans le ciel leur apparaissent des phénomènes dont ils ne peuvent aucunement apercevoir les causes, et qu'ils attribuent à une action des dieux. Quand donc nous aurons vu que rien ne se fait de rien, alors ce que nous cherchons se découvrira plus aisément ; nous saurons de quoi chaque chose peut recevoir l'être et comment toutes choses se forment, sans intervention des dieux. » (Lucrèce, De la Nature, trad. H. Clouard, Garnier-Flammarion, 1964, pp. 22-23).
A vrai dire, Lucrèce et les autres Épicuriens ne niaient pas que les dieux existaient quelque part sous une certaine forme, mais ils disaient qu'ils ne jouent aucun rôle dans le fonctionnement de la nature ou dans la vie des humains : la nature est « libre, affranchie de maîtres superbes, gouvernant elle-même son empire sans l'aide de dieux » (p. 82).

Lucrèce demandait

« quelle cause a répandu parmi les peuples la croyance aux dieux, a rempli les villes d'autels, a institué ces solennités religieuses qu'on voit se déployer aujourd'hui en tant de grandes occasions, en tant de sanctuaires ? Comment les mortels restent-ils pénétrés de la sombre terreur qui leur fait élever de nouveaux temples par toute la terre et les y pousse en foule dans les jours de fête ? » (p. 186)
Sa réponse était que cela résultait de visions et de rêves d'êtres qui semblaient supérieures aux humains et qui ont alors été imaginés pour contrôler les phénomènes célestes et terrestres :

« O race malheureuse des hommes, qui attribuèrent aux dieux ces phénomènes et qui leur prêtaient des colères cruelles ! Que de gémissements il leur en a coûté, que de blessures pour nous, quelle source de larmes pour nos descendants ! La piété, ce n'est pas se montrer à tout instant la tête voilée devant une pierre, ce n'est pas s'approcher de tous les autels, ce n'est pas se prosterner sur le sol la paume ouverte en face des statues divines, ce n'est pas arroser les autels du sang des animaux, ni ajouter les prières aux prières ; mais c'est bien plutôt regarder toutes choses de ce monde avec sérénité. » (p. 187)
Lucrèce expliquait que l'origine de la religion ne résultait pas uniquement du fait que les gens ignoraient comment la nature fonctionnait, mais aussi de la peur qu'ils avaient à propos de ce qu'ils imaginaient qu'il allait ou pouvait leur arriver après leur mort. Pour lui, Épicurien, cette crainte était sans fondements puisque rien ne se passait alors : quand vous mourez, c'est cela la fin. Si les gens savaient qu'il n'y a pas de vie après la mort soutenait-il, « ils trouveraient d'une certaine façon la force de résister aux supercheries et intimidations des prophètes » (prophète étant pris dans son sens premier de personne prédisant l'avenir, le mot latin correspondant vates signifiant devin ou voyant).

Lucien également, dans son essai centre Alexandre, exprime l'idée des Epicuriens selon laquelle les gens sont motivés par des espoirs et des craintes erronés et c'est ce qui en fait des clients potentiels pour des hommes tels qu'Alexandre qui se targuent de pouvoir prédire l'avenir. Ceux qui pratiquent la philosophie d'Épicure dit-il, sont délivrés « des frayeurs, des fantômes et des chimères ».

L'hostilité entre les Épicuriens et les marchands d'oracles était réciproque. Lucien rapporte qu'Alexandre brûla un jour en public un des livres d'Épicure et en jeta les cendres dans la mer. II a également interdit aux Épicuriens (et aux Chrétiens) de témoigner à propos des mystères associés à son culte qui débutait par « Les Chrétiens, dehors ! Les Épicuriens, dehors ! » clamé par les participants. Lucien n'appréciait guère les Chrétiens, les considérant comme étant des adeptes d'un nouveau culte superstitieux. Dans un autre de ses écrits, La mort de Peregrinus, il dit, à propos des Chrétiens, que « ces malheureux se figurent qu'ils sont immortels et qu'ils vivront éternellement » et qu'ils vouaient un culte à un « sophiste crucifié » qui avait été mis à mort en Palestine parce qu'il avait introduit ce nouveau culte dans le monde.

lundi 10 août 2009

Il y a 25 ans (6): Les « Communistes » s'en vont

Après avoir partagé la responsabilité de la gestion du capitalisme français pendant trois ans, le PC a pris le prétexte du changement de premier ministre en juillet pour quitter le gouvernement.

Même si Mitterrand n'a pas exigé le départ des ministres PC, iI y a tout lieu de supposer qu'il en était content. En effet, en changeant de premier ministre, Mitterrand voulait changer l'image de son gouvernement. Il voulait à sa tête quelqu'un qui incarnait mieux le changement de politique vis-à-vis de la crise imposé par le fonctionnement du capitalisme, à savoir la « modernisation » de l'Industrie

En réalité, le gouvernement poursuivait cette politique (avec le concours des ministres PC) depuis un certain temps, mais la présence de Mauroy - et des ministres PC - représentait un lien trop visible avec l'ancienne politique, échec complet, qui consistait à tenter de sortir de la crise en augmentant la « consommation populaire ». Le gouvernement PS/PC a abandonné cette politique-là en juin 1982 quand il a bloqué les salaires pendant quatre mois et qu'il a décidé d'aider les entreprises à reconstituer leurs marges. Il l'a abandonnée, ajoutons-le tout de suite, non pas parce qu'il a décidé de trahir la classe ouvrière mais parce que cette politique était une politique irréaliste, voire impossible. En effet, on ne peut faire marcher le capitalisme dans l'intérêt de la classe salariée, même si on est sincère.

A partir de ce moment, Mitterrand a commencé à adopter le même langage que Giscard et Barre utilisaient quand ils géraient, eux, les affaires du capitalisme français. Il ne cessait pas de marteler les mêmes mots: modernisation, entreprise, innovation, compétitivité, risque, initiative, profit. Interrogé sur l'adoption de ce langage plutôt capitaliste dans une interview à l'occasion du troisième anniversaire de son élection, il a répondu:

« Quoi, les termes modernisation, entreprise, innovation et la suite seraient de droite? Mais c'est un postulat absurde. » (Libération, 10 mai 1984)
Modernisation, c'est un joli mot avec ses connotations d'usines nouvelles, de robots, d'automatisation, etc. En réalité, ce n'est qu'un euphémisme pour décrire ce qui se passe chaque fois que le capitalisme passe par une de ses récessions périodiques. Les entreprises les moins performantes échouent et sont éliminées de la compétition pour les profits. Ceci entraîne une augmentation de la productivité moyenne dans les diverses branches de l'industrie et donc une diminution de leurs coûts de production moyens, mettant ainsi ces branches dans une position plus compétitive vis-à-vis de leurs concurrents étrangers.

En d'autres termes, l'augmentation de la productivité moyenne et de la compétitivité qui en découle ne se réalise pas tant par l'installation de machines nouvelles que par l'élimination de machines démodées - et des emplois de ceux qui y travaillent.

C'est cela que veut dire « modernisation » dans la pratique. Les salariés n'ont donc pas à se réjouir de la première déclaration de Fabius qui, le soir même de sa désignation comme premier ministre, a dit que son but serait de « moderniser le pays ». Ceci va inéluctablement entraîner encore plus de fermetures d'usines, plus de licenciements, plus de pertes d'emplois, plus de chômage. Fabius l'a d'ailleurs confirmé lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale le 24 juillet :

« la modernisation - il faut avoir l'honnêteté de le dire - peut coûter des emplois avant d'en créer . » (Libération, 25 juillet)
Mitterrand lui-même était tout aussi explicite dans son interview dans Libération:

« Si vous considérez qu'être de gauche interdit de moderniser le pays à cause des souffrances qu'entraîne tout changement, je ne puis vous suivre. Et pourtant je m'interroge chaque jour sur ce que je suis en droit de demander à la classe ouvrière, victime de tant d'injustices et de tant d'oppressions depuis l'ère industrielle. »
Merci pour les larmes de crocodile. Deux mois plus tard, il a récidivé devant une manifestation de syndicalistes mécontents à Montluçon:

« L'État n'est pas une industrie, et les sociétés nationales ne sont pas au service de l'État. Certes, elles ont des obligations particulières, mais elles doivent gérer, investir, organiser selon l'idée qu'elles se font. Si l'on devait les transformer en fonction publique, vous assisteriez à la substitution d'une bureaucrate à toutes les forces vives. L'idée que l'entreprise nationale peut échapper à la crise et créer artificiellement des postes de travail ? Non, ce serait aboutir de là mise en cause d'un secteur que j'ai élargi. » (Le Monde, 8-9 juillet).
Et il a ajouté, pour que les gens comprennent qu'il accepte la logique, et toute la logique, du capitalisme, « l'État n'a pas pour charge de créer des industries, de voler au secours des entreprises en péril » et « on ne peut demander que l'État se contente de couvrir les pertes; il faut qu'il fasse aussi des bénéfices ». (Libération, 7-8 juillet).

Tout ceci représente un virage à 180° par rapport aux promesses électorales faites par Mitterrand et par la « majorité présidentielle » en 1981. Dans ce sens, le PC a raison d'accuser Mitterrand et le PS de manquement à leurs engagements, mais ce que le PC, incorrigiblement réformiste, n'a pas compris, c'est que ces promesses étaient tout à fait irréaliste; elles n'auraient pas pu être honorées à cause de la nature même du système capitaliste au sein duquel elles étaient censées entre réalisées.

Comme nous l'avons déjà dit, on ne peut faire marcher le capitalisme dans l'intérêt de la classe majoritaire des salariés ; c'est un système de profit qui ne peut fonctionner que dans l'intérêt de ceux qui vivent des profits provenant de l'exploitation du travail salarié. Mitterrand et le PS ont appris ceci moins d'un an après avoir été élu et ils se sont contentés par la suite de gérer le capitalisme de la seule façon possible: contre la classe salariée.

Le PC, malgré le fait qu'il ait accepté de participer à la gestion inévitablement (et, après le blocage des salaires de juin 1982, ouvertement) anti-ouvrière du capitalisme pendant trois ans, retient toujours ses vieilles illusions d'avant 1981. Mais il n'y a aucun mérite à rester fidèle à des engagements qui se sont montrés illusoires. Maintenant le PC va sans doute dire aux travailleurs que Mitterrand a échoué parce qu'il a délibérément choisi de poursuivre une politique anti-ouvrière plutôt qu'anti-capitaliste. En réalité, la cause de cet échec, c'est la nature même du capitalisme qui exclut toute politique autre que celle qui favorise l'accumulation du capital aux dépens des conditions de travail et de vie des salariés.

C'est pourquoi la seule issue pour la classe travailleuse, c'est l'abolition du capitalisme et l'établissement d'un monde sans classes et sans salariat où on produira pour la seule satisfaction des besoins humains sans argent ni achat ni vente.

(Socialisme Mondial 26, No 2 1984)

lundi 3 août 2009

Maigret et le Code pénal

Le commissaire Maigret nous rappelle le véritable rôle de la police.

C'était rare qu'il parle de son métier, encore plus rare qu'il émette une opinion sur les hommes et leurs institutions. II se méfiait des idées, toujours trop précises pour coller à la réalité qui, il le savait par expérience, est tellement fluide.

Avec son ami Pardon seulement, le docteur de la rue Popincourt, il lui arrivait, après dîner, de grommeler ce qui pouvait passer à la rigueur pour des confidences.

Quelques semaines plus tôt, justement, il s'était laissé aller à parier avec une certaine amertume.

— Les gens se figurent, Pardon, que nous sommes là pour découvrir les criminels et obtenir leurs aveux. C'est encore une de ces idées fausses comme il y en a tant en circulation et auxquelles on s'habitue si bien que personne ne songe à vérifier. En réalité, notre rôle principal est de protéger l'Etat, d'abord, le gouvernement, quel qu'il soit, les institutions, ensuite la monnaie et les biens publics, ceux des particuliers, et enfin, tout à la fin, la vie des individus...

» Avez-vous eu la curiosité de feuilleter le Code pénal ? II faut arriver à la page 177 pour y trouver des textes visant les crimes contre les personnes. Un jour, je ferai le compte exact, plus tard, quand je serai à la retraite. Mettons que les trois quarts du Code, sinon les quatre cinquièmes s'occupent des biens, meubles et immeubles, de la fausse monnaie, des faux en écritures publics ou privés, des captations d'héritage, etc., etc. bref, de tout ce qui se rapporte à l'argent... A tel titre que l'article 274, sur la mendicité sur la voie publique, passe avant l'article 295, lequel vise l'homicide volontaire...

Ils avaient pourtant bien dîné, ce soir-là, et avaient bu un Saint-Emilion inoubliable.

— Dans les journaux, c'est de ma brigade, la Criminelle, selon le terme consacré, qu'on parle le plus, parce que c'est la plus spectaculaire. En réalité, nous avons moins d'importance, aux yeux du Ministere de l'intérieur, par exemple, que les Renseignements Generaux ou que la Section financière...

» Nous sommes un peu comme les avocats d'assises. Nous constituons la façade et ce sont les civilistes qui, dans l'ombre, font le travail sérieux...

(Maigret et le Voleur paresseux.)