Nous vivons dans une société qui crée des problèmes et ne sait pas les résoudre. II suffit pour s'en rendre compte de lire n'importe quel journal où l’on trouvera le triste récit des nombreuses guerres qui ravagent toute une partie du monde, des famines qui déciment les populations de certains pays, des diverses formes de pollution qui envahissent notre environnement, des armes nucléaires qui nous menacent de destruction totale. A la page des faits divers de ces mêmes journaux on passe des problèmes généraux aux particuliers et l’on découvre comment notre système social affecte la vie des gens à un niveau personnel et quotidien. Malheureusement, tous ces problèmes, généraux ou particuliers, sont attribues dans les journaux à des causes inhérentes à la nature humaine, à la société humaine ou simplement à la vie sur terre et nous, lecteurs, nous sommes encouragés à accepter passivement cet état de choses plutôt qu'à chercher activement une solution.
La famine ? Il y a toujours eu des famines, c'est la vie.
Peut-être, mais il y a aussi des montagnes de nourriture accumulées dans certains pays et dont on ne sait que faire ! Il y aussi une technologie capable de produire beaucoup plus qu'on ne produit aujourd'hui.
La guerre ? Il y a toujours eu la guerre, c'est comme ça, c'est l'agressivité humaine.
Mais alors comment se fait-il que les peuples d'Europe et d'Amenque du Nord qui connaissent une paix relative en ce moment n'éprouvent pas un besoin physiologique de repartir en guerre ? La génération qui a aujourd'hui entre 50 et 60 ans et qui n'a pas connu la guerre, comment expliquer qu'elle s'en passe, qu'elle se réjouisse de vivre en paix, qu'elle cherche même à s'assurer de la continuation de cette paix en organisant des mouvements pour la paix ?
La pollution ? C'est la rançon du progrès, de la technologie.
Mais comment ? De qui se moque-t-on ? Une technologie capable d'envoyer des êtres humains sur la lune, de transplanter des coeurs ou de faire éclater des atomes ne serait pas capable de résoudre les problèmes relativement mineurs de la pollution ? Allons, allons, on voudrait nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Les armes nucléaires ? Il les faut pour nous défendre.
Mais se défendre au prix de la destruction de l'humanité, est-ce une défense ?
Il faut donc aller plus loin que ce que nous disent les journaux, il faut pousser la réflexion plus avant, remarquer les contradictions, dénoncer les absurdités. Même chose à la page des faits divers. Ici l’on nous présente toute une gamme de petits criminels comme des gens fondamentalement mauvais et malhonnêtes, qui menacent notre sécurité quotidienne et que nous sommes donc amenés à considérer comme coupables plutôt que comme victimes. Et pourtant, quand il s'agit d'une jeune mère de vingt-deux ans et d'un nourrisson abandonné, n'est-il pas évident qu'il y a lâ problème et non crime ?
« Le 14 juillet est née, dans une clinique de Trappes, une fille du nom de Laetitia. Le 22 du même mois, un couple de promeneurs, attirés par des vagissements, découvrait dans un bois des Yvelines un bébé de sexe féminin. La petite Laetitia avait été abandonnée. Recherchée par la police, sa mère âgée de vingt-deux ans, a été identifiée et écrouée: « Je ne pouvais pas l'élever seule. Je n'ai pas de ressources, pas de travail. Et il ne fallait pas que mon père apprenne ma grossesse ». »C'est tout. Suit un article plein de statistiques sur les enfants abandonnés qui sont, nous dit-on, trois mille en France. Pas la moindre question sur le pourquoi ni le comment de ce cas particulier, bien moins encore sur la solution apportée au problème. Reprenons donc nous-mêmes l'affaire, non pas à coups de statistiques, mais en utilisant tout simplement un peu de bon sens.
On trouve un bébé abandonné dans un bois. Qu'est-ce qui a pu pousser une mère à abandonner son enfant dans un bois où il mourra lentement de faim et de froid ? Quels terribles sentiments d'anxiété, quels profonds tourments ? Voilà les premières questions à se poser. L'enfant est sauvé et de cela on peut déjà se réjouir. Maintenant il reste à retrouver la mère et a l'aider dans son malheur, car malheur il y a, c'est évident. Les habitants de la ville, les voisins, les amis la cherchent et la trouvent. Le problème est clair: la jeune femme est pauvre, sans aucune ressource, et vit dans la terreur de son père. La solution humaine et logique ? Lui fournir un logement indépendant de celui de son père et les ressources dont elle a besoin pour elle-même et pour son enfant, lui apporter un soutien moral dont elle a visiblement besoin et lui souhaiter tout le bonheur possible avec sa petite fille comme on le ferait pour n'importe quelle maman. La solution de notre société ? Une solution violente et stupide. La police est envoyée pour chercher la jeune femme qui est mise en prison alors que l'enfant va à l'orphelinat. Voila le problème bien résolu: deux êtres humains coupables de pauvreté, ont devant elles un avenir de malheur et de misère, et la société n'y gagne rien sauf peut-être deux délinquants en puissance.
Il en va de cette histoire comme de tous les autres problèmes. Nous n'utilisons pas notre intelligence pour les résoudre, nous ne cherchons pas la solution la plus logique, la plus satisfaisante, mais comme nous avons un esprit qui aime pourtant résoudre les problèmes et qui y excelle, nous passons à la place à la page des mots croisés. Alors pourquoi, pourquoi ne s'attaque-t-on pas plutôt aux vrais problèmes, pourquoi ce sentiment d'impuissance et de résignation en lisant notre journal quotidien ? La réponse est simple: parce que le système social dans lequel nous vivons ne permet pas la résolution des problèmes en termes humains et logiques. Ce système est fondé sur une chose seulement: le profit et toujours le profit. Tous les problèmes sont donc attaqués et pensés en termes de profit et c'est pour cela que la nourriture, par exemple, ne va pas à ceux qui ont faim mais à ceux qui ont de l'argent, et si ceux-ci n'ont pas faim, alors on empile cette nourriture dans des entrepôts et on regarde les enfants du Tiers Monde mourir, tout doucement, de faim, et on met en prison les mères qui n'ont pas de quoi donner à manger à leurs enfants.
Peut-être direz-vous qu'il n'y a pas de raison, après tout, pour que les gens qui travaillent, qui gagnent leur croûte à la sueur de leur front, fassent vivre les autres en même temps, les pauvres, les sans-travail, les femmes sans mari. Ce serait trop demander quand-même ! Et pourtant les travailleurs du monde font, sans très bien s'en rendre compte, quelque chose de bien plus extraordinaire que ça. Ils permettent, par leur travail, à une section de la société qui elle ne travaille pas, ne produit rien, de vivre dans le luxe, dans l'abondance et dans la sécurité matérielle. Ce travailleur qui rechigne à l'idée qu'une mère de vingt-deux ans, sans famille et sans ressources, puisse tirer un maigre bénéfice de son labeur à lui, accepte sans sourciller que ses employeurs fassent à partir de ce même labeur des profits qui leur permettent non pas simplement de survivre, mais de vivre dans la richesse la plus éclatante, sans jamais devoir travailler. Cette contradiction n'est pas la moindre dans un système qui en est plein.
Si nous voulons éliminer les contradictions absurdes et commencer à résoudre les difficultés, il faut rendre à l'intelligence la place qu'elle mérite et lui permettre de se mettre sérieusement au travail. Mais pour cela, il faut d'abord se débarrasser de l'obstacle principal, le système du profit. Ce n'est que lorsque les hommes et les femmes du monde mettront fin a un système base sur l'argent qui les oblige à tout faire en fonction du profit, qu'ils pourront enfin mettre leurs remarquables facultés intellectuelles et émotionnelles à leur propre service et donc au service de toute l'humanité.