William Morris était déjà bien connu dans l'Angleterre victorienne en tant qu'artiste, artisan et surtout poète (auteur d'un poème épique, « Le Paradis sur Terre ») quand à l'approche de la cinquantaine, il adhéra en 1883 à la première organisation à s'être déclarée explicitement marxiste en Angleterre, la Social Democratic Federation.
Morris resta jusqu'à sa mort en 1896 un socialiste convaincu ou « communiste » comme il préférait s'appeler pour souligner que son but était de voir s'établir une société libre d'égaux dans laquelle la propriété privée, la coercition politique, l'esclavage salarié et l’échange commercial auraient disparu. Durant la majeure partie de cette période il fut un membre très actif de la Socialist League, une scission de la SDF, à la fondation de laquelle il a participé à la fin de 1884. Morris et la Socialist League n'étaient pas d'accord avec la politique de la SDF qui consistait à participer aux élections en proposant des réformes à réaliser au sein de la société capitaliste. Pour eux, l'activité des socialistes devait être essentiellement propagandiste : « Eduquer pour la Révolution », « Former des Socialistes », comme l'exprimait Morris.
Son roman communiste utopique, Nouvelles de nulle part, dont plusieurs traductions françaises existent et auquel nous renvoyons ceux qui veulent un exposé plus complet des idées de Morris sur ce qu'une société, communiste, sans classes, sans Etat et sans argent rendrait possible, a paru pour la première fois sous la forme d'une série d'articles dans le journal mensuel de la Ligue avant d'être publié sous forme de livre en 1890.
La contribution principale de Morris à la pensée socialiste, contribution basée sur sa propre expérience en tant que dessinateur et artisan (et il a pratiqué une grande variété de métiers, de l’imprimerie et la reliure à la teinture et l'ébénisterie en plus de dessiner des papiers peints et des vitraux), était de souligner comment le travail, en tant qu'activité humaine essentielle, pourrait — et devrait — être attrayant et agréable dans la société communiste que visaient les socialistes.
D'autres socialistes, considérant le travail comme un malheur et une torture, soutenaient (quelques-uns le soutiennent encore) que l’on devrait le réduire au minimum dans la société future. Typique de cette approche était le livre de la célèbre brochure de Paul Lafargue le Droit à la paresse et aussi, dans une certaine mesure, la distinction que Marx a faite dans le troisième livre du Capital entre « le règne de la nécessité et « le règne de la liberté. »
Morris était en profond désaccord avec une telle attitude. Pour lui, le travail — l'exercice de nos énergies corporelles — est une activité humaine essentielle qu'il ne faut pas chercher à réduire au minimum mais qu'il faut au contraire chercher a rendre agréable. Ici, comme avec son utilisation du terme « civilisation » d'une façon péjorative, il suivait Fourier plutôt que Marx. Pour lui, même le soi-disant règne de la nécessité pourrait être rendu agréable ou, plus exactement, cette distinction entre un règne de la nécessité et un règne de la liberté n'avait aucun sens pour lui. Dans une société communiste, pensait Morris, les gens seraient libres tout le temps en ce sens qu'ils feraient une activité librement choisie même quand ils effectueraient le travail socialement nécessaire de production des moyens matériels de leur survie. C'était précisément parce qu'il avait compris que le système capitaliste privait la plupart des gens — les non-possédants obligés de se salarier pour vivre — de la possibilité d'un travail quotidien agréable, rendant ainsi impossible tout art en tant qu'expression du plaisir du travailleur dans son travail, qu'il était devenu socialiste.
On peut trouver des traductions des articles socialistes de Morris dans Contre l'art d'élite (Collection Savoir chez Hermann, 1985) et dans L’Age de l’Ersatz (Éditions de l’encyclopédie des nuisances, 1996)