Quand Lénine a écrit sa brochure sur l’impérialisme en 1916 il n’était que le chef d’une des fractions du mouvement social-démocrate russe et les visions qu’il y exprima, y compris les erreurs, étaient celles défendues par beaucoup d’autres critiques de l’impérialisme à l’époque. Cependant, quand il a écrit la préface aux éditions française et allemande en 1920, sa position personnelle avait changé : il était devenu le premier ministre d’un État (de la Russie capitaliste d’État) dont l’intérêt économique était de bouleverser le redécoupage impérialiste du monde qui avait résulté de la première guerre mondiale. Ce changement se reflète dans le contenu de la préface, quand il écrit :
« Le capitalisme est devenu un système mondial d’oppression coloniale et d’étranglement financier de l’écrasante majorité de la population du monde par une poignée de pays « avancés ». Et c’est deux ou trois puissants gangsters armés jusqu’aux dents (l’Amérique, la Grande-Bretagne et le Japon) qui se partagent ce « butin » et qui entraînent le monde entier dans leur guerre pour le partage de leur butin ».
« Le capitalisme aujourd’hui a mis en avant une poignée (moins d’un dixième des habitants du globe ; et, en comptant de la façon la plus « large » et la plus exagérée, moins d’un cinquième) d’États particulièrement riches et puissants qui pillent le monde entier, par une simple « tonte des coupons ».
S’il est vrai que « l’écrasante majorité de la population du monde » est exploitée, ce n’est pas vrai de dire que ses exploiteurs sont « une poignée d’États particulièrement riches et puissants ». Si c’était le cas, alors la conclusion à tirer serait que la population mondiale devrait s’unir contre cette poignée d’États et leurs classes dirigeantes (plutôt que contre tous les Etats et toutes les classes dirigeantes), et c’est celle-là, bien sûr, la conclusion que Lénine voulait que soit tirée.
En tant que membre du gouvernement d’un État qui n’était pas inclus dans la « poignée », il en appelait à tous les autres États exclus, et leurs habitants - « États prolétariens » comme les a appelés Mussolini, dont l’État se trouvait dans une position similaire - à se soulever et en effet redécouper le monde en de nouvelles sphères d’influence. Mais cela n’aurait pas mis fin à l’exploitation de la population mondiale ; cela n’aurait changé que la manière par laquelle les produits de cette exploitation - le butin, comme Lénine l’appelait justement - étaient partagés parmi les Etats qui composaient le monde, c’est-à-dire, parmi leurs classes capitalistes respectives. En d’autres termes, c’était un Etat qui venait de se former et qui essayait d’affirmer son droit à une place au soleil, qui utilisait l’« anti-impérialisme ». Il se trouva que la Russie capitaliste d’Etat y réussira, sous le successeur de Lénine, Staline, après la seconde guerre mondiale.
La même théorie selon laquelle toute la population du monde est exploitée par une poignée d’États impérialistes devait être propagée par la Chine capitaliste d’État pendant l’ère de Mao, et pour la même raison. Les dirigeants chinois ont depuis laissé tomber cette théorie, ayant adopté la stratégie alternative du « si tu ne peux pas les battre, joins-toi à eux » pour essayer d’entrer dans le club des puissances dominantes du monde.
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