lundi 10 août 2009

Il y a 25 ans (6): Les « Communistes » s'en vont

Après avoir partagé la responsabilité de la gestion du capitalisme français pendant trois ans, le PC a pris le prétexte du changement de premier ministre en juillet pour quitter le gouvernement.

Même si Mitterrand n'a pas exigé le départ des ministres PC, iI y a tout lieu de supposer qu'il en était content. En effet, en changeant de premier ministre, Mitterrand voulait changer l'image de son gouvernement. Il voulait à sa tête quelqu'un qui incarnait mieux le changement de politique vis-à-vis de la crise imposé par le fonctionnement du capitalisme, à savoir la « modernisation » de l'Industrie

En réalité, le gouvernement poursuivait cette politique (avec le concours des ministres PC) depuis un certain temps, mais la présence de Mauroy - et des ministres PC - représentait un lien trop visible avec l'ancienne politique, échec complet, qui consistait à tenter de sortir de la crise en augmentant la « consommation populaire ». Le gouvernement PS/PC a abandonné cette politique-là en juin 1982 quand il a bloqué les salaires pendant quatre mois et qu'il a décidé d'aider les entreprises à reconstituer leurs marges. Il l'a abandonnée, ajoutons-le tout de suite, non pas parce qu'il a décidé de trahir la classe ouvrière mais parce que cette politique était une politique irréaliste, voire impossible. En effet, on ne peut faire marcher le capitalisme dans l'intérêt de la classe salariée, même si on est sincère.

A partir de ce moment, Mitterrand a commencé à adopter le même langage que Giscard et Barre utilisaient quand ils géraient, eux, les affaires du capitalisme français. Il ne cessait pas de marteler les mêmes mots: modernisation, entreprise, innovation, compétitivité, risque, initiative, profit. Interrogé sur l'adoption de ce langage plutôt capitaliste dans une interview à l'occasion du troisième anniversaire de son élection, il a répondu:

« Quoi, les termes modernisation, entreprise, innovation et la suite seraient de droite? Mais c'est un postulat absurde. » (Libération, 10 mai 1984)
Modernisation, c'est un joli mot avec ses connotations d'usines nouvelles, de robots, d'automatisation, etc. En réalité, ce n'est qu'un euphémisme pour décrire ce qui se passe chaque fois que le capitalisme passe par une de ses récessions périodiques. Les entreprises les moins performantes échouent et sont éliminées de la compétition pour les profits. Ceci entraîne une augmentation de la productivité moyenne dans les diverses branches de l'industrie et donc une diminution de leurs coûts de production moyens, mettant ainsi ces branches dans une position plus compétitive vis-à-vis de leurs concurrents étrangers.

En d'autres termes, l'augmentation de la productivité moyenne et de la compétitivité qui en découle ne se réalise pas tant par l'installation de machines nouvelles que par l'élimination de machines démodées - et des emplois de ceux qui y travaillent.

C'est cela que veut dire « modernisation » dans la pratique. Les salariés n'ont donc pas à se réjouir de la première déclaration de Fabius qui, le soir même de sa désignation comme premier ministre, a dit que son but serait de « moderniser le pays ». Ceci va inéluctablement entraîner encore plus de fermetures d'usines, plus de licenciements, plus de pertes d'emplois, plus de chômage. Fabius l'a d'ailleurs confirmé lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale le 24 juillet :

« la modernisation - il faut avoir l'honnêteté de le dire - peut coûter des emplois avant d'en créer . » (Libération, 25 juillet)
Mitterrand lui-même était tout aussi explicite dans son interview dans Libération:

« Si vous considérez qu'être de gauche interdit de moderniser le pays à cause des souffrances qu'entraîne tout changement, je ne puis vous suivre. Et pourtant je m'interroge chaque jour sur ce que je suis en droit de demander à la classe ouvrière, victime de tant d'injustices et de tant d'oppressions depuis l'ère industrielle. »
Merci pour les larmes de crocodile. Deux mois plus tard, il a récidivé devant une manifestation de syndicalistes mécontents à Montluçon:

« L'État n'est pas une industrie, et les sociétés nationales ne sont pas au service de l'État. Certes, elles ont des obligations particulières, mais elles doivent gérer, investir, organiser selon l'idée qu'elles se font. Si l'on devait les transformer en fonction publique, vous assisteriez à la substitution d'une bureaucrate à toutes les forces vives. L'idée que l'entreprise nationale peut échapper à la crise et créer artificiellement des postes de travail ? Non, ce serait aboutir de là mise en cause d'un secteur que j'ai élargi. » (Le Monde, 8-9 juillet).
Et il a ajouté, pour que les gens comprennent qu'il accepte la logique, et toute la logique, du capitalisme, « l'État n'a pas pour charge de créer des industries, de voler au secours des entreprises en péril » et « on ne peut demander que l'État se contente de couvrir les pertes; il faut qu'il fasse aussi des bénéfices ». (Libération, 7-8 juillet).

Tout ceci représente un virage à 180° par rapport aux promesses électorales faites par Mitterrand et par la « majorité présidentielle » en 1981. Dans ce sens, le PC a raison d'accuser Mitterrand et le PS de manquement à leurs engagements, mais ce que le PC, incorrigiblement réformiste, n'a pas compris, c'est que ces promesses étaient tout à fait irréaliste; elles n'auraient pas pu être honorées à cause de la nature même du système capitaliste au sein duquel elles étaient censées entre réalisées.

Comme nous l'avons déjà dit, on ne peut faire marcher le capitalisme dans l'intérêt de la classe majoritaire des salariés ; c'est un système de profit qui ne peut fonctionner que dans l'intérêt de ceux qui vivent des profits provenant de l'exploitation du travail salarié. Mitterrand et le PS ont appris ceci moins d'un an après avoir été élu et ils se sont contentés par la suite de gérer le capitalisme de la seule façon possible: contre la classe salariée.

Le PC, malgré le fait qu'il ait accepté de participer à la gestion inévitablement (et, après le blocage des salaires de juin 1982, ouvertement) anti-ouvrière du capitalisme pendant trois ans, retient toujours ses vieilles illusions d'avant 1981. Mais il n'y a aucun mérite à rester fidèle à des engagements qui se sont montrés illusoires. Maintenant le PC va sans doute dire aux travailleurs que Mitterrand a échoué parce qu'il a délibérément choisi de poursuivre une politique anti-ouvrière plutôt qu'anti-capitaliste. En réalité, la cause de cet échec, c'est la nature même du capitalisme qui exclut toute politique autre que celle qui favorise l'accumulation du capital aux dépens des conditions de travail et de vie des salariés.

C'est pourquoi la seule issue pour la classe travailleuse, c'est l'abolition du capitalisme et l'établissement d'un monde sans classes et sans salariat où on produira pour la seule satisfaction des besoins humains sans argent ni achat ni vente.

(Socialisme Mondial 26, No 2 1984)

Aucun commentaire: