jeudi 17 juillet 2008

Il y a 25 ans (1) : Un « complot musulman »

Dans notre dernier numéro nous avons prévu une réaction des travailleurs contre la baisse de leur pouvoir d'achat résultant du blocage des salaires imposé par le gouvernement PS/ PC.

En l'occurrence c'étaient les OS de l'industrie automobile en région parisienne qui était les premiers à bouger. En janvier chez Renault à Flins ils ont fait grève pendant quelques semaines avant d'obtenir une révision de l'accord salarial pour prévoir une augmentation en 1983 de 11 % pour les trois quarts des salariés de Renault - au-dessus donc de la norme de 8% que le gouvernement veut appliquer pour 1983.

Cette grève, et par son objectif et par son effet - Renault a perdu quelque 40.000 véhicules - a beaucoup gêné le gouvernement. Autrefois la propagande gouvernementale aurait crié à un « complot communiste » mais étant donné la composition du gouvernement actuel, cette voie ne lui a pas été ouverte. Il fallait donc trouver un autre bouc-émissaire. Ce n'était pas si difficile d'en trouver un puisque 53 pour cent sur 17.000 ouvriers chez Renault à Flins sont des immigrés (en majorité d'Afrique du Nord) et 55 pour cent sur 12.000 à Billancourt.

C'était Gaston Defferre qui le 26 janvier a ouvert le feu en déclarant qu'il y avait un « phénomène particulier » dans l'automobile : « il s'agit d'intégristes, des chiites ». Le Premier Ministre lui-même a vite couru épauler son ministre de l'Intérieur. Des travailleurs immigrés, Mauroy a-t-il prétendu, « sont agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises ».

Ce thème d'un « complot musulman » était repris, après la grève (et après l'expulsion vers l'Italie des gardes du corps de Ben Bella), par Jean Auroux, à l'époque ministre du Travail, qui est allé encore plus loin:

« Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays (...) Certaines forces en France et dans le monde cherchent à nous faire échouer, mais nous sommes vigilants. »

Le Républicain Lorrain (11 février) en rapportant ces propos a ajouté :

« La crainte sous-jacente du ministre est que des agitateurs intégristes se servent de l'Islam pour manipuler les travailleurs immigrés, déstabiliser l'industrie automobile française et troubler la paix sociale dans le pays. »

Cette histoire est complètement invraisemblable ! Qui seraient ces méchantes gens qui veulent saborder l'industrie française ? Defferre a parlé de « chiites », la secte musulmane dont un des chefs est l'Ayatollah Khomeiny. L'Iran aurait effectivement une raison de vouloir déstabiliser la France puisque le gouvernement français appuie et arme l'Irak dans la guerre du Golfe mais, malheureusement pour Defferre, la secte chiite est inconnue en Afrique du Nord et il n'y a probablement pas un seul chiite qui travaille dans l'automobile française ! C'est vrai aussi que les visées expansionnistes du colonel Kadhafi se heurtent aux intérêts impérialistes de la France en Afrique (défendus aussi résolument par Mitterrand qu'auparavant par Giscard) mais de là à conclure que c'était des agents libyens qui manipulaient les grévistes de Renault et Citroën...

Bref, cette histoire d'agitateurs musulmans intégristes manipulant des grévistes pour le profit d'une mystérieuse puissance étrangère ne tient pas debout. Il s'agissait là de pure propagande anti-gréviste, de l'intoxication du public. Les gouvernements du capitalisme ont toujours eu recours à de tels mensonges pour combattre des grèves, et le gouvernement PS/PC, en bon gestionnaire du capitalisme, cherchait tout simplement à déconsidérer les grévistes devant l'opinion publique comme moyen de miner la grève et de la faire échouer.

Ils n'ont pas réussi mais cette action manifestement anti-ouvrière du PS et du PC au gouvernement démontre encore une fois que quand, comme eux, on a accepté la responsabilité de gérer le capitalisme on est obligé de le faire de la seule manière possible - dans l'intérêt du capital, contre l'intérêt de la majorité salariée.

(Socialisme Mondial 23, Nº 2, 1983)

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