dimanche 17 avril 2011

Ils ont raison (7)

Gustave Rodrigues dans Le Droit à la vie (1934).
Supprimons la monnaie !

Mais l’effet le plus remarquable du progrès technique, c’est de faire sortir du cercle du commerce et des échanges un grand nombre des biens qu’il contenait originairement parce qu’ils étaient rares et qui tendent à s’en évader à mesure qu’ils abondent. Comme ce changement date d’hier, nous nous en rendons difficilement compte. Mais de jour en jour il s’impose davantage à notre réflexion. Et c’est lui qui nous apporte la seule solution rationnelle du problème.

Qu’on nous permette une anticipation qui, à notre sens, ne devance que de fort peu les réalisations futures. Imaginons que brusquement l’homme cesse de produire en vue de profit et qu’il se propose uniquement la satisfaction des besoins. Du coup les perspectives économiques sont changées. Il ne s’agit plus d’accaparer la production pour le compte de quelques-uns, ce qui conduit à la raréfier, mais de la distribuer aussi largement que possible à tous, ce qui amène à l’intensifier. L’abondance cesse d’être une catastrophe pour devenir un bienfait. Il n’y aura plus d’autre limite à la production que l’assouvissement complet de tous les désirs de tous, ce qui pratiquement entraîne un formidable développement du machinisme, une hausse immédiate du niveau de la vie générale.

Ce jour-là pourrait et devrait être proche, disons plus, si l’humanité était compréhensive elle devrait déjà l’avoir atteint. Les technocrates américains prétendent qu’on pourrait dès maintenant faire de chaque Américain moyen—et quel est l’Américain qui n’appartiendrait pas à la moyenne?—si les machines des Etats-Unis donnaient le plein de leur production, un individu disposant de 20.000 dollars par an (le dollar étant compté à vingt-cinq francs), soit 500.000 francs de notre monnaie. Mais ce n’est là à notre sens qu’une façon de s’exprimer, car le jour où il en serait ainsi il ne serait plus question de monnaie.

Devant cette profusion des produits qui comblent tous les besoins et tous les désirs humains, il ne s’agit plus ni d’acheter ni de vendre, mais de prendre. Comment parler encore d’échange là où pratiquement tout se trouve à la disposition de tous? L’échange ne se conçoit qu’entre gens dont l’un désire ce qu’il n’a pas et qu’un autre possède, celui-ci désirant, directement ou indirectement, ce que le premier détient et que lui-même n’a pas. C’est dire que tout échange et donc toute tractation en argent suppose un manque, une privation, en un mot une pauvreté. Là où il existe un trop-plein, il n’y a plus à qu’à distribuer.

Et à distribuer gratuitement. Voilà le grand mot lâché. De prime abord, il surprend et même il indigne. Comment? Vous allez me délivrer pour rien ce que je désire? Mais parfaitement, du moins dans la mesure où la chose est possible. Vous le recevrez pour rien dès l’instant qu’il y aura de quoi satisfaire également pour rien à des désirs analogues exprimés pour tous les autres. La limitation et le rationnement ne subsisteront que dans les domaines de la production où il ne sera pas encore possible d’avoir autant qu’il faut et plus qu’il ne faut pour tous.

Il importe de nous familiariser au plus vite avec ces idées neuves qui bouleversent de fond en comble nos anciennes manières de voir. Le passage du rare à l’abondant entraîne logiquement celui du payant au gratuit. Une politique de la hausse des prix, telle que la préconise et la pratique Roosevelt, est proprement insensée et contraire à ce qu’il y a par ailleurs de neuf et de hardi dans ses conceptions. Le vrai, c’est qu’on doit finalement aboutir à la suppression des prix.

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